[2] L’eau ou la gestion d’un commun
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Journée mondiale de l’eau, marche pour l’eau à Volvic, consultation publique concernant le nouvel arrêté-cadre « sécheresse », puis le prochain Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE Loire Bretagne, 2022)… le printemps politique et écologique tourne aussi autour des questions de l’eau et de ses usages. 

Pour nous, élu.e.s écologistes de Clermont-Ferrand et de sa Métropole, les dispositions du futur arrêté préfectoral sécheresse ne sont pas satisfaisantes au vu notamment de l’ampleur et de la récurrence des sécheresses liées au dérèglement climatique. L’occasion pour nous d’explorer quelque peu le dossier et les enjeux de la gestion de l’eau dans notre département. 

Volet 1 

Volet 3

Volet 4

Volet 5

Volet 6

La double année de sécheresse 2019 – 2020 a ici aussi fait émerger une situation nouvelle de tension sur la ressource où s’est fait jour la conscience d’un possible conflit des usages de l’eau. Cette situation pour le moins nouvelle pose des questions écologiques et politiques tout à fait inédites quant à la préservation, quant aux usages et au partage de cette ressource dans le Puy-de-Dôme. Pour les écologistes, préservation et usages de l’eau sont des questions indissociables : la préservation dépend grandement de la modération des usages et inversement, il n’y a de modération justifiable des usages qu’au nom de la préservation de la ressource pour le bien-être de tous, des populations comme de la nature et de l’environnement dont elles dépendent. Modérer les usages signifie plusieurs choses :  

1- déterminer une limite au-delà de laquelle sont réduits les usages fondamentaux de chacun.e lorsque est atteint le cycle de renouvellement de la ressource en eau (ce qui est vrai de l’ensemble des cycles de ressources naturelles, des sols à l’énergie en passant par l’air…). C’est là un point fondamental marquant une rupture dans la façon de considérer l’environnement, la nature et les ressources qui en proviennent : en affichant l’impératif d’une limite à la consommation, on passe d’une logique de droit à consommer à une logique de devoir de préservation. C’est donc au consommateur aujourd’hui de prouver que son usage ne porte atteinte ni à la ressource ni à la satisfaction des besoins primordiaux de chacun.e. 

2- discerner les finalités de chaque usage et les classer par ordre de priorité, afin d’être en mesure de toujours répondre aux besoins les plus essentiels, et ce en s’appuyant sur la logique des principes posés par la loi sur l’eau de 2006 (accès à l’eau pour tous et actions contre le changement climatique) ; 

3- et enfin, définir un code des usages de l’eau visant à la satisfaction prioritaire des plus essentiels, y compris au détriment des moins essentiels. 

Ce ne sont pas là des décisions anodines : elles concernent la vie de chacun.e comme celle du collectif pour lequel le bien, l’eau, est un bien commun. Ce sont là des choix de société capitaux, des choix de vie en commun qu’on ne peut abandonner au libre jeu des intérêts divergents et d’un marché dont les arbitrages sont strictement pécuniaires. Une telle gestion de la ressource à laquelle nous ne couperons pas à mesure que la crise climatique imprimera sa marque à nos territoires implique néanmoins une procédure démocratique forte et transparente, apte à produire du droit et des règles, et pour lesquels nous ne disposons pas aujourd’hui des outils et des institutions pertinents. Dans ce domaine de l’eau – mais il en ira de même avec l’énergie, si ce n’est avec les sols – tout reste à inventer pour une gestion élargie, démocratique et efficace des communs. 

Irrigation agricole : un savoir-faire technique et… politique

Un tel travail de réflexion impliquera notamment de se pencher sur la question complexe du modèle de gestion de l’eau au sein du monde agricole et notamment sur l’expérience et les pratiques des Associations syndicales autorisées (ASA) en charge de l’irrigation collective. Non seulement pour en simplifier le paysage mais aussi pour en tirer expériences et enseignements.

On dénombre une vingtaine de ces structures dans le Puy-de-Dôme. 

Les ASA dans le Puy-de-Dôme

Elles comptabilisent 64% des débits autorisés, chaque point de prélèvement pouvant capter 20 000 m³, soit un total de près de 80% des consommations départementales par irrigation collective. Le reste des débits est attribué à des irrigants individuels, soit plusieurs centaines de points de prélèvement (405) pour 13 500 hectares irrigués. Au total, ce sont 3% de la Surface Agricole Utile (SAU) du Puy-de-Dôme pour près de 730 exploitants. 90% de ces surfaces irriguées sont consacrées aux céréales et aux cultures industrielles. 

77% de la ressource irrigable est prélevée sur des cours d’eau (à commencer par l’Allier) et 15% provient de retenues alimentées par des cours d’eau (contre 3% en nappes profondes et 1% en retenues collinaires d’eau de pluie). 

Source : Rapport de mission sur les Associations Syndicales
Autorisées (ASA) en hydraulique agricole, décembre 2015.

Dans le Sud du pays, habitué à la gestion d’une ressource rare et dépendant depuis toujours d’une agriculture irriguée sans laquelle il ne peut être d’agriculture tout court, certaines ASA peuvent compter jusqu’à plusieurs milliers d’adhérents rassemblés autour de l’entretien et de la gestion des eaux d’un canal d’alimentation par gravitation : dans cette configuration ancienne, la gestion de l’eau revêt tous les aspects de la gestion d’un commun dont il faut préserver et partager les usages. Il n’est pas rare d’ailleurs que des collectivités locales soient, au fil du temps, devenues membres de ces associations puissantes, du fait de l’extension des terres constructibles dans le périmètre existant des ASA. Le rôle de ces associations devient alors celui d’un véritable «parlement de l’eau» où la «conflictualité» des intérêts autour de la ressource pousse à une certaine transparence et démocratie. 

Dans le reste du pays et notamment dans le Puy-de-Dôme, les ASA sont beaucoup plus récentes et principalement créées pour financer et gérer des prélèvements en rivière ou à partir de retenues collinaires (technique par pompage) pour des usages exclusivement agricoles sur des surfaces assez peu impactées par l’urbanisation et donc sans implication des collectivités locales. Quoi qu’il en soit, tant les risques de grignotage des terres agricoles que la multiplication des sécheresses, des tensions sur la ressource ainsi que les limites financières de ces organismes syndicaux pour le portage de nouveaux investissements, conduiront inéluctablement à poser la question du tour de table de la gestion de la ressource en eau. 

Aussi tant le regroupement de ces ASA en organismes uniques de gestion sur un bassin ou un département, que les garanties fournies par les collectivités locales en vue d’un meilleur accès au crédit dans le cadre du financement de nouveaux projets pourraient ouvrir des opportunités quant au renouvellement, à l’ouverture et à des pratiques nouvelles de ces instances de gestion de l’eau dans le Puy-de-Dôme. Pourquoi dès lors ne serait-il pas pertinent de s’inspirer de l’expérience accumulée dans les ASA traditionnelles du sud de la France en matière de gestion de l’eau comme bien commun ? 

Il serait en tout cas très utile, techniquement et politiquement de s’appuyer sur le modèle des ASA afin d’inventer un modèle de gestion territoriale de la ressource en eau, à la fois ouvert, transparent et démocratique pouvant dessiner une solution d’avenir dans un contexte de raréfaction des ressources et de possible conflit des usages. 

Il serait en tout cas très utile, techniquement et politiquement de s’appuyer sur le modèle des ASA afin d’inventer un modèle de gestion territoriale de la ressource en eau, à la fois ouvert, transparent et démocratique pouvant dessiner une solution d’avenir dans un contexte de raréfaction des ressources et de possible conflit des usages. 

Il serait en tout cas très utile, techniquement et politiquement de s’appuyer sur le modèle des ASA afin d’inventer un modèle de gestion territoriale de la ressource en eau, à la fois ouvert, transparent et démocratique pouvant dessiner une solution d’avenir dans un contexte de raréfaction des ressources et de possible conflit des usages. Outre la seule question de la gestion des ressources disponibles, il pourrait être le lieu de concertation pour accompagner le secteur dans une meilleure maîtrise de la ressource. Bien que l’irrigation ait pu montrer son efficacité sur les rendements (au niveau mondial, 20 % de la surface agricole est irriguée et assure 40 % de la production), elle est source d’un gaspillage important de la ressource en eau. Dans le Puy-de-Dôme, la culture du maïs, grande consommatrice d’eau en période estivale, est souvent montrée du doigt. 

Mais il paraît impossible de modifier les pratiques des agriculteurs de manière individuelle. Dans un milieu de plus en plus atomisé, il faut une prise en conscience et un espace de concertation de la profession et une intégration à une concertation collective pour permettre de répondre à ces enjeux de consommation d‘eau.  

Ces espaces de discussion permettraient de lancer plusieurs grands chantiers au sein de l’agriculture : 

  • L’expérimentation et l’aide à généralisation de solutions innovantes pour une meilleure gestion de l’eau (par ex la mise en place de solutions d’arrosage aux gouttes à gouttes pour les cultures sans labour) 
  • Une planification pour la conversion d’une partie des cultures de maïs par le sorgho ou la luzerne moins gourmands en eau par exemple. Ce travail est initié par Limagrain et l’interprofession de l’AOP Saint-Nectaire. Une réflexion est en cours pour agrandir le partenariat avec les autres interprofessions des AOP d’Auvergne. 
  • L’accompagnement dans une culture plus orientée vers la consommation locale. La fermeture de la sucrerie Bourdon et l’arrêt de la culture de la betterave rend disponible plus de 5 000 ha de terres agricoles. De cette menace pour leur activité, nous pouvons réfléchir collectivement pour proposer une autre agriculture en lien avec les besoins locaux et les ressources disponibles en eau.  
  • Il est aussi essentiel d’accompagner les pratiques agricoles même sur des cultures non irriguées.  

Il devient urgent de proposer localement des instruments démocratiques pour la gestion de la ressource en eau, représentant tous les secteurs de consommation, avec des moyens dédiés pour la mise en place de politiques de prévention.  

[A suivre]