[3] Un Parlement de l’eau ?
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Journée mondiale de l’eau, marche pour l’eau à Volvic, consultation publique concernant le nouvel arrêté-cadre « sécheresse », puis le prochain Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE Loire Bretagne, 2022)… le printemps politique et écologique tourne aussi autour des questions de l’eau et de ses usages. 

Pour nous, élu.e.s écologistes de Clermont-Ferrand et de sa Métropole, les dispositions du futur arrêté préfectoral sécheresse ne sont pas satisfaisantes au vu notamment de l’ampleur et de la récurrence des sécheresses liées au dérèglement climatique. L’occasion pour nous d’explorer quelque peu le dossier et les enjeux de la gestion de l’eau dans notre département. 

[…] [Il devient urgent de proposer localement des instruments démocratiques pour la gestion de la ressource en eau, représentant tous les secteurs de consommation, avec des moyens dédiés pour la mise en place de politiques de prévention.]

Quoi qu’il en soit, nous sommes pour l’instant assez éloignés de ce modèle. Aujourd’hui, l’arrêté-cadre « sécheresse » proposé par le Préfet du Puy-de-Dôme résulte d’une rédaction technique due au Directeur Départemental des Territoires suite à deux réunions techniques (12 mars 2020 et du 29 janvier 2021) et à une consultation du public menée tambour battant entre le 1er et le 21 mars 2021 en pleine crise sanitaire. Faute d’être le produit d’une concertation, cet arrêté prévoit, comme celui qui l’a précédé, l’installation d’un Comité départemental de l’Eau (CDE) en tant « qu’instance de concertation des étiages« ; et ce sur la base dudit arrêté. Autour de l’État (un quart des membres) se tiennent les professionnels consommateurs d’eau, industriels et agricoles pour un autre quart des membres, puis les collectivités locales et les syndicats d’adduction d’eau potable (un autre quart), le reste étant dévolu aux usagers (UFC – Que choisir), aux associations environnementales ainsi qu’aux Commissions Locales de l’Eau (CLE, dont nous aurons l’occasion de reparler plus loin). Ce texte et cette instance sont des outils de gestion du risque sécheresse dans un monde où la ressource est abondante et la sortie de l’étiage assuré à court terme : conçus pour garantir l’accès à une ressource habituellement abondante, ils ne sont ni l’outil, ni le lieu pour interroger cet accès et poser la question des usages à cet égard problématique lorsque la ressource en eau se fait plus rare. Bref, la CDE n’est pas une instance politique quand la répétition et l’aggravation des sécheresses posent des questions écologiques et donc politiques.  

Aussi n’est-il pas surprenant de voir cet arrêté invoquer les principes de la Loi sur l’Eau et les Milieux Aquatiques (LEMA, 2006), notamment ceux des usages prioritaires pour les personnes et la sauvegarde des milieux, avant d’aligner une série d’exceptions pour des usages sportifs (golfs notamment dont les greens sont parmi les rares espaces encore irrigués en cas de crise grave) et industriels (la Société des Eaux de Volvic n’étant concernée par aucune restriction en période d’étiage). Si l’on comprend qu’une restriction d’accès à l’eau pour un céréalier ou une Société de commercialisation d’eau minérale puisse entraîner des conséquences économiques, peser sur la création de richesse et donc, in fine, sur l’emploi, peut-on considérer que l’atteinte au cycle de l’eau est d’un ordre de gravité moindre que l’atteinte au bilan économique d’une entreprise ? Dans un contexte d’abondance inaltérable de la ressource en eau qui est le contexte intellectuel de la rédaction de cet arrêté-sécheresse, le cycle de l’eau n’est jamais menacé durablement et la considération économique conserve son aspect prioritaire. Par contre, lorsque la ressource vient à manquer et que l’activité économique pèse sur la capacité de celle-ci à se renouveler, nous nous retrouvons face à des injonctions contradictoires entre lesquelles il faut choisir, ce qui n’est plus une question économique mais une question écologique et politique. 

Crise écologique et démocratie

Mais face à une telle complexité, une simple consultation / concertation formelle ne suffit plus, et il convient dès lors de se doter d’un espace de délibération démocratique légitime à fixer des limites, poser des principes et trouver des solutions transitoires : il semble impossible de gérer la complexité imposée par la rareté croissante des ressources communes sans recours à des procédures citoyennes et démocratiques renouvelées et élargies.  

C’est au fond la raison principale des critiques dont peut faire l’objet l’arrêté–cadre sécheresse proposé par la préfecture du Puy-de-Dôme. Problématique que ne nient pas les services de la préfecture en déclarant à la presse « qu’une approche globale est nécessaire » et qu’ils examinent depuis plusieurs mois, suite notamment à la sécheresse exceptionnelle de 2019, comment l’eau est consommée pour dégager des solutions à différents niveaux dans le département. Dans la foulée, le Préfet du Puy-de-Dôme annonçait en octobre 2020 la création d’un « Projet territorial de l’eau » pour le mois de décembre suivant. La conscience d’une discussion élargie et sans doute refondée est là, même si, pour l’instant, les réponses ne semblent guère appropriées. Aussi, ce qui devrait être géré comme un bien commun échappe pour l’instant à toute délibération et tout cadre commun fondé sur la reconnaissance de la limite à nos prélèvements au nom des usages essentiels de chacun.e.  

Pour répondre à une telle exigence dans la gestion du commun qu’est l’eau, la discussion doit être engagée non pas à l’échelle de la seule Métropole, encore moins d’une commune, mais à celle de bassins hydrographiques cohérents. L’idée étant d’aboutir à l’adoption d’une charte du/des bien(s) commun(s) validée démocratiquement sur un territoire élargi. Pour ce faire, la création d’un parlement de l’eau notamment pourrait constituer une véritable avancée.

Un SAGE en parlement ?

Or une telle assemblée a le mérite d’exister, à tout le moins en principe et sur le papier, et qui plus est à l’échelle idoine du chevelu d’une rivière : il s’agit de la Commission Locale de l’Eau, la CLE, organe délibérant du SAGE (Schéma de Gestion des Eaux), et en ce qui nous concerne, le SAGE Allier Aval. 

Fondées par la loi sur l’eau de 2006, les CLE ont une mission stratégique et prospective, un pouvoir réglementaire, des capacités opérationnelles et financières sur des territoires hydrographiquement cohérents. Elles rassemblent des représentants des collectivités locales (50%), des usagers (25%) et de l’État (25%). Mais par-delà le titre quelque peu ronflant, ce parlement de l’eau ne dispose pour l’instant pas d’une grande « souveraineté » sur la préservation et la gestion de la ressource. Et ce, pour plusieurs raisons : 

1/ On s’aperçoit notamment que les CLE sont membres parmi d’autres, du Comité départemental de l’eau (le fameux CDE préfectoral) en charge de la gestion des étiages : bref les représentants de la CLE siègent en CDE, en tant que représentants à la CLE d’acteurs déjà directement présents dans le CDE au titre de leurs propres intérêts. Cela révèle, en tout cas sur la question des étiages, une « souveraineté » pour le moins limitée, et ce quand bien même la « planification et la sécurisation des usages en tenant compte de la ressource » compte-t-elle au nombre des attributions de la CLE. Car il eût été cohérent que la CDE, la commission des étiages, fût partie intégrante de la CLE et non l’inverse. 

2/ Tout Parlement de l’eau qu’elle soit, elle reste donc grandement dépendante d’un mille-feuille de structures administratives et consulaires présentes dans la gestion de l’eau sur nos territoires, et notamment, comme souligné un peu plus haut, du nombre d’irrigants et d’associations irrigantes dans le département (dont les ASA, Associations Syndicales Autorisées).  Ce foisonnement d’instances reflète plus la diversité et l’hétérogénéité des intérêts en jeu sur la question de l’eau que la volonté commune de délibérer pour parvenir à la définition, même difficile, d’un intérêt commun dans la préservation et le partage de la ressource. Il est d’ailleurs à cet égard éclairant que la CLE mentionne au titre de ses objectifs et souhaits, la constitution d’un Organisme Unique de gestion des prélèvements agricoles à l’instar de ce qui se pratique dans le département de l’Allier sous la responsabilité de la Chambre d’Agriculture de l’Allier : la volonté de simplification existe mais s’affronte à de nombreux obstacles. 

3/ Tout parlement de l’eau que soit la CLE, elle n’en tire qu’une visibilité et légitimité démocratique toute relatives, ne serait-ce que du fait même de sa constitution en tant que syndicat de syndicats, de collectivités et d’associations. 

4/ Des objectifs encore lointains : malgré ses engagements répétés de mandat en mandat, quant à la mise en œuvre d’une stratégie de gestion quantitative de la ressource en eau, elle en était encore en 2015 (création en 2006) à la préconisation d’études de définition des volumes prélevables sur l’ensemble du territoire du SAGE. 

5/ Enfin, malgré l’intérêt du travail proposé à l’échelle du bassin hydrographique, celui-ci ne concerne qu’une petite partie du département et qu’en définitive, une réflexion sur la ressource à l’échelle départementale nécessite une extension des périmètres. 

La question de l’instance d’une gestion commune de l’eau est donc toujours posée. 

Même s’il s’agit d’une structure rajoutée au mille-feuille existant, le modèle du Comité Départemental de l’Eau (CDE) mis en place en Gironde en 2019, apporte quelques éléments de réponse en cela que sa mission n’est pas consacrée à la gestion des étiages mais à l’anticipation de la crise climatique et de ses impacts territoriaux. Le CDE, nouvelle instance de concertation départementale rassemblant tous les acteurs concernés par la gestion de l’eau (experts, élus, associations environnementales, pêcheurs, consommateurs, conchyliculteurs, etc.), aura pour objectif d’élaborer une vision innovante et prospective du territoire girondin sur les questions liées à l’eau, dans une perspective d’adaptation au changement climatique et d’anticipation, mais aussi de prévention, des conflits d’usages à venir. 

Sur cette question comme sur bien d’autres, on mesure combien la transition et les instances qui la prendront en charge devront s’emparer des questions de résilience, c’est-à-dire d’accès partagé aux biens et ressources d’importance vitale pour un territoire et ses habitants. Et combien ces questions, dans l’autre sens, permettront d’unifier les problématiques, de clarifier les enjeux, les compétences et les actions pour parvenir à la création d’une instance commune forte, démocratique et identifiée. Un véritable parlement de l’eau, comme il pourrait en être de l’énergie, des sols et de la biodiversité, bref de l’ensemble des biens communs.

[A suivre]