[4] Un syndicat départemental de l’eau ou le débat des communs
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Amorcées en mars 2020 sur le Puy-de-Dôme, les concertations sur le nouvel arrêté-cadre « sécheresse » qui fixe les priorités de l’usage de l’eau en cas de sécheresse sur le département, devraient aboutir à la signature finale du préfet fin mars 2021, après une dernière étape de consultation publique de 21 jours. Pour nous, élu.e.s écologistes de Clermont-Ferrand et de sa Métropole ainsi que pour les citoyen.ne.s et les associations réunies au sein du collectif Eau Bien Commun 63, les dispositions de ce document ne sont pas satisfaisantes au vu notamment de l’ampleur et de la récurrence des sécheresses liées au dérèglement climatique. L’occasion d’explorer quelque peu le dossier et les enjeux de la gestion de l’eau dans notre département.

Même si la gestion de l’eau comme un commun apparaît encore lointaine dans notre département, la double sécheresse des années 2019 – 2020 et les alertes qu’elle a lancées, ont permis d’ouvrir des opportunités de débat. Dans le département du Puy-de-Dôme, parallèlement au débat qui se faisait jour entre agriculteurs et associations, l’initiative d’un syndicat départemental d’interconnexion des réseaux d’eau potable a ainsi vu le jour. Objectif ? Raccorder certains syndicats et certaines communes (Châteldon notamment ainsi que plusieurs communes du massif du Sancy) frappés de plein fouet par l’amenuisement de la ressource à des zones – à celles de la plaine alluviale de l’Allier notamment – dont la production est beaucoup plus régulière tout au long de l’année. Le département du Puy-de-Dôme s’appuie sur quatre types de ressources pour son approvisionnement en eau potable : 

1/ Les nappes alluviales (Allier & Dore) pour environ 60% de la consommation départementale. 

2/ Les aquifères volcaniques (Chaîne des Puy, Sancy, Cézallier) pour 26 %. 

3/ Les aquifères de Socle (Livradois – Forez / Combrailles) pour environ 12 %, nombre de ces sources étant très sensibles aux sécheresses. 

4/ Les ressources superficielles (5 collectivités) pour environ 2 % de la consommation départementale. 

Cette classification nous révèle combien, en dehors de la grande plaine alluviale de l’Allier et des espaces volcaniques qui la longent, des pans entiers du département – les zones de socle – sont extrêmement exposées à la répétition et à l’intensité des sécheresses. Par ailleurs, le relief si particulier du Puy-de-Dôme a sans doute longtemps dissuadé, du fait des contraintes techniques et donc du coût, toute velléité de raccordement des réseaux d’eau potable entre eux (quand de telles interconnexions sont à l’ordre du jour depuis 1992 dans le département voisin de l’Allier, entre les trois vallées de la Loire, de l’Allier et du Cher, mais avec de faibles dénivelés pour l’essentiel) : il n’est effectivement pas techniquement évident, ni financièrement (et énergétiquement) indolore de relever des masses d’eau de la plaine alluviale de l’Allier vers les plateaux du Livradois et/ou des Combrailles. Et ce, jusqu’à ce que le risque de pénurie frappe à la porte plusieurs années de suite. C’est ainsi qu’en 2019 le Conseil départemental du Puy-de-Dôme annonçait la création d’un syndicat départemental en charge des projets d’interconnexion en eau potable, syndicat dont le principe était acté en décembre 2020 pour lancement en juin 2021.  

Dans l’intervalle, ce même Conseil départemental lançait une étude en vue de la réalisation d’un schéma directeur dont l’objet était de déterminer un programme de travaux d’interconnexions afin de secourir les syndicats et les communes à la merci de problèmes d’alimentation en eau potable (mais aussi face au risque incendie). On le voit ici, le projet est lancé et verra sans doute le jour au lendemain des prochaines élections départementales. Si la campagne électorale ne porte pas ce débat – et il y a peu de chances que ce soit le cas – la décision de création de ce syndicat, de ses missions et de ses investissements n’aura fait l’objet d’aucun vrai débat démocratique en amont. Pourtant, pour la Métropole clermontoise, la question posée n’est pas anecdotique : tant au plan de la ressource en eau (que la Régie mettra en vente) que du point de vue des investissements à porter, Clermont Auvergne Métropole étant contributrice nette à la constitution et de développement de ce syndicat. Il ressort des documents de préfiguration qu’un tel projet d’investissement ne pourrait pas voir le jour sans la contribution capitale de Clermont Auvergne Métropole. La situation doit nous interroger sur plusieurs points.

  • Et tout d’abord sur celui de la solidarité entre les territoires, notamment entre la Métropole et les territoires plus ruraux du reste du département : cette question s’est déjà posée sur la politique du traitement des déchets sans que la réponse apportée ne soit aujourd’hui satisfaisante, tant la Métropole est devenue le centre de traitement des déchets départementaux sans aucune garantie quant à la maîtrise si ce n’est à la réduction des quantités de déchets collectés par les différents syndicats. Le comble de la solidarité unilatérale étant atteint lorsque la Métropole fut sollicitée pour la prise en charge du transport de déchets qu’elle ne voulait pas traiter sur son territoire.
  • En matière d’eau potable, la problématique générale est assez analogue : si Clermont Auvergne Métropole se montre solidaire des territoires avoisinants – et avec 8% des représentants et près de 40% des contributions financières prévisionnelles – on peut estimer que son adhésion à ce syndicat constitue en soi un acte solidaire, elle ne peut manifestement pas le faire à n’importe quel prix, encore moins au mépris d’un engagement sérieux sur les usages et la réduction des gaspillages de la ressource.  

La question des usages

S’il est question d’acheminer de l’eau dans des communes déficitaires et d’y consacrer en amont les investissements nécessaires (que les habitants de la Métropole prendront en charge partiellement ; à l’horizon 2028, il est question de 14 centimes TTC/mètre cube d’eau), il est impossible de ne pas poser la question des usages de l’eau dans ces communes et donc du code des usages à adopter à l’échelle du département. Il serait tout à fait inenvisageable, par exemple, de faire payer le prix (économique et financier) d’une eau relevée des centaines de mètres au-dessus de la plaine de l’Allier pour assurer l’arrosage de greens de golf. Tout comme il serait absurde de devoir relever de l’eau de l’Allier jusqu’à Volvic, l’aquifère local ne répondant plus à la consommation locale du fait de trop grands prélèvements de la part d’un industriel de l’eau en bouteilles… Bref, s’il doit y avoir solidarité et partage, il est impératif de poser des règles. Et la création de ce syndicat nous offre l’opportunité de poser ce débat politique.  

La question de l’efficacité

Par-delà les usages, l’adhésion à un tel syndicat posera inéluctablement la question de l’efficacité des réseaux interconnectés : car quel sens y aurait-il à acheminer de l’eau dans une commune s’il s’avérait que son réseau perdît une part considérable de la ressource en transit ? Aucun. Or, au dire du Préfet lui-même à l’automne 2020, le chantier de la modernisation des réseaux d’eau potable est devant nous dans le Puy-de-Dôme. Avec une moyenne de pertes de 26% – certains experts évoquant même le chiffre de 40% (soit 4 litres sur 10), après estimation de ce qui n’est pas déclaré -, notre département bat tous les records en Auvergne – Rhône Alpes (voir ICI). Qui prendra en charge ces investissements ? A quel rythme ? Comment conditionner les futures interconnexions à leur réalisation ? Le débat est ouvert. Et il faudra l’épuiser. 

Il est donc indispensable de s’accorder sur une vraie politique de prévention de la consommation d’eau, qui réponde aux enjeux de rénovation des réseaux et aux besoins d’accompagnement aux changements de pratiques des professionnels.  

La question plus large de la réciprocité

Ce qui peut également signifier qu’on puisse ouvrir, à cette occasion, le débat plus large des relations de la Métropole et des ruralités dans une perspective de transition écologique, solidaire, une perspective de résilience des territoires. Si en l’occurrence, Clermont Auvergne Métropole est invitée à financer des travaux qui lui permettront par la suite de vendre une ressource en eau qu’elle aura produite, on peut imaginer qu’en matière énergétique et alimentaire, elle puisse à l’avenir avoir besoin de ces territoires pour garantir et sécuriser ses approvisionnements : c’est ici que s’ouvre le débat sur les fameux « contrats de réciprocité » entre ville et ruralité qui sont en fait de vrais contrats de résilience et de solidarité, fondés sur la gestion, la mise en valeur, les usages et le partage de l’eau mais aussi des autres communs. Sans poser cette triple question des usages, de l’efficacité et d’une réciprocité plus globale (à la fois financière et écologique) entre territoires ruraux et métropole, il semble difficile de fournir des réponses satisfaisantes et cohérentes à la nuée de questions soulevée par l’initiative solidaire qu’est la constitution de ce syndicat. Il n’en reste pas moins que l’instance apte à accueillir et à faire vivre un tel débat reste à inventer, quelque part entre la convention citoyenne et le syndicat intercommunal. Les relations avec les autres territoires, et notamment les territoires ruraux, faisait partie de la feuille de route des Métropoles lorsqu’elles furent créées par la loi MAPTAM (Affirmation des Métropoles – 2014). Sept ans plus tard, que ce soit dans le Puy-de-Dôme ou partout ailleurs en France, on ne peut pas dire que ce pan de l’action métropolitaine ait été particulièrement travaillé. Cependant, dans le contexte de la crise actuelle et l’émergence des problématiques de sécurisation et de résilience territoriales comme avec l’affirmation de l’impératif de transition écologique et sociale dans les politiques publiques, il revient sans doute à Clermont Auvergne Métropole de lancer ce grand débat de territoire, c’est-à-dire du département, autour de la gestion des ressources naturelles et communes, à commencer par l’eau. C’est là un triple défi : écologique, social mais aussi démocratique. Défi que nous ne pourrons plus escamoter bien longtemps.