Clermont : le miracle IKEA (4) ?
Partager

L’été clermontois a été marqué par l’arrivée d’IKEA dans le bassin clermontois. Alors que la poussière et les paillettes retombent, il est temps de tenter de discerner l’envers de cette arrivée si triomphale, du tapis rouge à tous les honneurs auxquels peut prétendre un investisseur privé, brandissant très haut l’importance des retombées économiques de son implantation.

Partie 1

Partie 2

– Partie 3

Une politique de transfert de coûts

Lle modèle IKEA a toujours tenu sa clientèle pour un facteur de production dont la massification permettait des économies d’échelle. Il lui fallait donc investir le cœur des zones de chalandise, au cœur des réseaux de communication, de promotion et de transport.

« Dans tous les pays et système sociaux, en Europe de l’Est aussi bien qu’à l’Ouest, une part démesurée de l’ensemble des ressources sert à satisfaire une minorité de la population. Dans notre secteur d’activité, par exemple, trop de nouveaux produits au design magnifique ne sont accessibles qu’à un petit groupe de personnes aisées. Le but d’IKEA est de corriger cette situation », écrivait le fondateur d’IKEA en 1976, Ingvar Kamprad.

Mais pour atteindre cet objectif, l’intuition centrale était la suivante : « […] Les gens ont plus de temps que d’argent : plus le client s’implique dans le processus de vente, moins le prix du produit sera élevé…. Chez IKEA, tout le système de commercialisation repose sur l’intégration du client dans le système de distribution. Le client choisit le produit, le prend, le paie à la caisse, le transporte et l’assemble lui-même. »

Le coût du travail, de l’énergie et du matériel utilisé pour l’assemblage, le transport et la livraison est transféré au client. Ce qui ne change que le prix d’achat, le coût final restant globalement le même. Le client étant même perdant du point de vue des coûts qu’il prend en charge, puisqu’il ne profite pas des économies d’échelle qu’un grand groupe pourrait réaliser.

IKEA profite des économies d’échelle liées à la massification d’une clientèle qui elle, n’en bénéficie pas, bien au contraire : elle est obligée de les supporter de façon très inégalitaire. En effet, ces coûts sont plus élevés à mesure que l’on s’éloigne du centre métropolitain / cœur de zone de chalandise où est installé le magasin.

Ce qui aboutit à un retournement complet de l’ambition fondatrice de la firme de mettre le design à la portée du plus grand nombre et non d’un « petit groupe de personnes aisées » : d’un côté, se trouvent les insiders en cœur d’agglomération ou de métropole, avec un accès facile et peu coûteux à l’offre IKEA ; et de l’autre, les exclus territoriaux pour lesquels le coût d’accès à IKEA (et au reste) croît démesurément en fonction de la distance au cœur.

C’est le retour aux droits de péage : en s’acquittant d’un droit (coût de l’immobilier, de l’accès au foncier, aux emplois, à l’éducation…) pour habiter en cœur urbain, on obtient un accès à prix réduit aux commodités de la consommation globalisée. Si l’on ne peut s’acquitter du péage, alors tout reste accessible moyennant des surcoûts proportionnels à l’éloignement du centre.

Et c’est malgré tout le cœur qui continue d’impulser le rythme de la société ‘consommante’.

Aussi l’arrivée d’IKEA relève-t-elle d’une logique globale de métropolisation, de concentration démographique et économique, comme de creusement permanent des inégalités entre les territoires.

Cette logique-là engendre ce que l’on peut considérer comme une guerre de l’accès entre les différents territoires. Il s’agit de réserver à ses habitants et/ou futurs habitants le meilleur accès à tous les bienfaits de la société globalisée.

– De s’imposer par rapport aux territoires de même taille et ambition

– De faciliter les accès et la proximité au cœur métropolitain le plus proche pour en maximiser les retombées.

Une économie de signes et d’images 

Mais l’acceptation de ces transferts de coût et de ces inégalités croissantes nécessite un contrôle fort de la masse d’énergie humaine mobilisée. IKEA s’appuie sur une politique élaborée de l’image, de sa marque et de son attractivité. Le groupe suédois est parvenu à faire de ses magasins une occasion de sortie, d’en faire l’expérience même du shopping : « Le magasin IKEA de Kungens Kurva est devenu, depuis plusieurs années maintenant, la principale attraction touristique à Stockholm. La visite d’un magasin dure en moyenne une heure et demie. En proposant une salle récréative pour les enfants, un restaurant et différentes activités, IKEA cherche à créer bien plus qu’un simple magasin : une vraie sortie plaisante. » [Idem, p77]

Personne ne peut douter aujourd’hui à Clermont-Ferrand de la puissance de la machine IKEA autour d’une image de marque douée d’un fort capital sympathie.

***

IKEA, ce n’est plus du meuble mais de l’image. De l’image dont l’économie réelle n’est plus qu’un prétexte, sous forme de retombées pour les territoires. IKEA ne vend pas des meubles mais crée de l’événement dans les vies quotidiennes.

Les collectivités locales ne s’y trompent d’ailleurs pas qui l’accueillent sur leurs terres, dans leurs bulletins et stratégies de communication comme elles le feraient d’un grand club de foot, de ses retombées et surtout de son effet d’image.

Loin de l’accomplissement métropolitain que l’implantation d’une telle enseigne symbolise, elle obéit à une évolution de l’économie globale et territoriale, de plus en plus centralisée et inégalitaire. Tout comme la métropolisation, le sacre de telles enseignes est moins la solution que le symptôme.

FIN