Routes en 2050 : 25 millions de km en plus
Partager

Sur l’ensemble du globe, « au moins 25 millions de kilomètres de routes nouvelles sont prévus d’ici à 2050 ». De quoi faire « plus de 600 fois le tour de la Terre ». Cette course à l’asphalte, sans précédent dans l’histoire, a poussé une équipe internationale de chercheurs (Australie, Malaisie, États-Unis, Royaume-Uni et Costa Rica) à un exercice de planification original.

Elle présente, dans la revue Nature du 28 août, une carte des régions du monde où la construction de nouveaux axes routiers serait bénéfique ou, au contraire, préjudiciable. Cela en tentant de concilier au mieux préservation des milieux naturels et développement économique.

Mises bout à bout, les voies de communication qui sillonnent aujourd’hui les continents totalisent déjà plusieurs dizaines de millions de kilomètres.

Ce réseau va encore se densifier, à un rythme accéléré, prévoient William Laurance (université James-Cook de Cairns, dans le Queensland, en Australie) et ses collègues. A l’horizon du milieu du siècle, sa longueur cumulée devrait être de 60 % supérieure à celle qu’elle atteignait en 2010. Les raisons de cette expansion sont multiples, qu’il s’agisse de l’exploitation des ressources naturelles – bois, minerais, pétrole ou terres arables – ou des échanges commerciaux nécessitant des infrastructures de transport et d’acheminement de l’énergie. Mais, déplorent les chercheurs, elle se fait trop souvent de façon « chaotique ou peu planifiée ».

LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT, PREMIERS CONCERNÉS

Or, soulignent-ils, « 90 % des constructions de routes auront lieu dans les pays en développement, y compris dans de nombreuses régions qui possèdent une biodiversité exceptionnelle et dont les écosystèmes rendent des services vitaux ».

Avec pour conséquences prévisibles « une augmentation spectaculaire de la colonisation de terres et de la perturbation d’habitats naturels », ainsi qu’« une surexploitation des espèces sauvages et des ressources naturelles », à commencer par les forêts. Ils citent comme exemples d’espaces déjà menacés l’Amazonie, la Nouvelle-Guinée, la Sibérie ou le bassin du Congo.

Pour autant, ajoutent les auteurs, ces aménagements « peuvent favoriser le développement social et économique ». Et notamment permettre « d’accroître la production agricole, qui constitue une priorité urgente étant donné que la demande alimentaire mondiale pourrait doubler d’ici au milieu du siècle ». Comment, alors, « minimiser l’impact environnemental » et « maximiser le bénéfice pour la société » ?

L’équipe a d’abord classé les grandes régions du monde en fonction de leur valeur environnementale : diversité des espèces animales et végétales, importance des habitats sauvages, rôle dans la séquestration du carbone et la régulation du climat… Elle a ensuite identifié les territoires où une meilleure desserte pourrait le plus servir l’agriculture, en fonction du potentiel de production des sols, de leur régime climatique, de leur proximité avec des centres urbains vers lesquels les récoltes puissent être transportées, ou encore des projections régionales de consommation et d’exportation de riz, de maïs ou de blé. Pour finir, ces deux tableaux ont été croisés.

Le résultat est un planisphère sur lequel la planète est divisée en quatre domaines d’inégale importance.

Apparaissent majoritairement des zones (en vert) qui, en raison de leur richesse environnementale, « devraient être exemptes de nouvelles routes partout où c’est possible ». Elles couvrent 46 % de la surface du globe et sont réparties sur tous les continents, avec une prédominance en Amérique latine, en Afrique subsaharienne, en Océanie et dans tout le nord-est de l’Eurasie.

« ZONES DE CONFLIT »

Les zones particulièrement adaptées à une intensification de la production agricole sans dommages environnementaux majeurs (en rouge) représentent seulement 12 % des terres émergées. Ce sont notamment le Sahel, le centre de l’Amérique du Nord, la pointe orientale et le sud-est de l’Amérique latine, le centre-ouest de l’Eurasie et le sous-continent indien.

Restent, pour un peu plus de 16 % du territoire, des « zones de conflit » (en noir) qui présentent tout à la fois une valeur environnementale et un potentiel agricole élevés. On les trouve en Afrique subsaharienne et à Madagascar, en Amérique centrale et le long de la cordillère des Andes, dans le bassin méditerranéen et dans le Sud-Est asiatique. Enfin, environ un tiers du globe – l’Afrique du Nord et la péninsule arabique principalament – est considéré « à faible priorité », sur le plan tant de l’environnement que de l’agriculture (en blanc).

Directeur du pôle de recherche pour l’organisation et la diffusion de l’information géographique (IRD, université Paris-1, CNRS, AgroParisTech), Jérôme Lombard, qui n’a pas participé à cette étude, la juge « intéressante et très ambitieuse ». Mais il estime que, menée principalement par des spécialistes des sciences de l’environnement, elle met en avant une approche « conservatrice » de la nature qui « prend peu en compte la réalité et les enjeux des politiques locales de développement ». En outre, son caractère global semble mal adapté à des choix d’infrastructures routières qui s’effectuent « à l’échelle régionale, nationale ou transnationale ».

Les auteurs n’en espèrent pas moins que leur travail constituera « un premier pas important vers une planification routière qui réduise les atteintes à l’environnement ». Afin d’éviter, écrivent-ils, que les futures routes du développement n’ouvrent « la boîte de Pandore des problèmes environnementaux ».

Pierre Le Hir

Le Monde – 28/08/2014