Le rail, objectif capital(e) ?
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Les mêmes qui réclamaient 14 milliards pour la LGV – POCL (Ligne Grande Vitesse Paris – Orléans – Clermont – Lyon) il y a quelques années se félicitent aujourd’hui bruyamment d’une aumône d’un milliard déjà promise il y a quatre ans par le gouvernement sur le simple maintien en l’état de la ligne Paris – Clermont-Ferrand. Faute de réflexion de fond sur nos besoins réels et nos moyens de mobilité, le débat sur le ferroviaire en Auvergne et en France ne fait qu’enfiler rêves et incantations.

Il n’existe par conséquent, en dehors de la seule question du temps de parcours – celle de la vitesse – aucun débat réel sur une quelconque ambition politique et stratégique en matière de desserte ferroviaire de l’Auvergne et du Massif Central. Ambition sans laquelle la problématique restreinte de la vitesse entre Paris et Clermont-Ferrand risque de rester longtemps orpheline.

Le mythe de la (grande) vitesse s’est effondré il y a quatre ans pour Clermont-Ferrand et l’Auvergne. En 2015, le rapport Duron sur la mobilité durable signait la fin de l’illusion (et des grands-messes) autour du POCL. Hormis quelques génuflexions sénatoriales récurrentes, le silence est de mise sur le sujet. Au plus fort du culte rendu au dieu LGV, les écologistes avaient prêché dans le désert de la gabegie (14 milliards estimés, soit 16 ou plus à terme) et de l’endettement annoncés, la bonne nouvelle d’une solution alternative : elle avait le mérite de poser la question du ferroviaire dans toutes ses dimensions, logistique, humaine, sociale, écologique et climatique. Et d’esquisser un mode de réponse dont l’avenir aurait gagné à s’inspirer. Mais l’effondrement du mythe de la LGV ne scella guère le sort des vieux réflexes, laissant le débat aux prises avec son habituelle vacuité, cantonné à un lobbying gesticulatoire.

LGV, la fin de l’illusion

Avec le recul, il est plus aisé de discerner combien cette passion pour la LGV nous avait aveuglés quant au ressort principal de la proposition faite : parer à la saturation de l’actuelle ligne LGV entre Paris et Lyon à l’horizon 2030… C’était confesser de fait la vocation exclusivement métropolitaine du POCL et de la Grande Vitesse en général, au détriment de l’intérêt de territoires plus périphériques et moins denses dont le désenclavement ferroviaire constituait, au mieux, une retombée collatérale.

A l’instar du tour pris ces dernières années par la décentralisation (ou son patient détricotage), l’aménagement ferroviaire s’avérait sacrifier lui aussi à cette passion métropolitaine que la France nourrit depuis les années 1970. Fi des transports et des besoins de mobilité du quotidien, fi du fret par le fer, fi de l’aménagement du territoire et de l’écologie, le rail passait sous la coupe de la grande vitesse, des métropoles et du raccordement vital (?) aux hubs de la mondialisation.

Dès lors que le POCL était rendu à sa réalité d’illusion politique et politicienne, on pouvait espérer qu’un débat plus profond sur la desserte ferroviaire, le rôle du fer et l’équilibre du territoire, notamment dans et autour du Massif Central reprendrait naturellement ses droits. Il semblait évident, du moins rétrospectivement, qu’une fois les grandes métropoles d’équilibre (telles que définies par la DATAR dès les années 1960) desservies par la Grande Vitesse, la question du centre ferroviaire de la France redeviendrait centrale. Hélas, le tout-routier est doté d’une inertie telle qu’il asphalte aussi bien le débat d’idées que les terres agricoles.

C’est à ce débat nécessaire, travail fondamentalement plus politique que technique, que les écologistes avaient tenté de donner corps au plus haut de la vague LGV en posant les bases d’un projet alternatif fondé sur le réseau ferroviaire existant, notamment transversal, du centre de la France. C’était déjà en soi une réflexion non métropolitaine.

En associant les élu-es écologistes de 6 régions contiguës du centre de la France, une proposition forte et réaliste de plan ferroviaire écologique, économique et territorialement équilibré avait été produite. Pour la portion qui nous intéresse directement, l’alternative à la ligne POCL consistait en un train à haut niveau de service dont la mise en circulation aurait nécessité environ un tiers du coût de réalisation de la POCL, soit un peu moins de 6 milliards. Par déduction rapide, on peut tenter d’en inférer le coût d’un aménagement moderne et efficace de la ligne Paris – Clermont : entre 2,5 et 3 milliards d’euros.

Résiduel

Mais le débat post POCL n’émergea pas. La fin de la passion LGV laissa derrière lui un paysage résiduel dévasté, tant au niveau des infrastructures que des idées et des politiques. Déjà, l’année 2013 avait marqué les esprits suite à l’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge où sept personnes perdirent la vie : on prit alors crûment conscience de l’état de délabrement d’une partie du réseau classique. En juin 2014, le gouvernement Valls lançait une réforme ferroviaire qui signait l’échec de la séparation ouverte en 1997 entre la SNCF et RFF (Réseau Ferré de France) : avec un doublement de sa dette en moins de 20 ans, RFF n’avait finalement jamais joué d’autre rôle que celui de structure de défaisance de l’endettement ferroviaire. La structure et le poids de la dette sur les comptes et l’avenir de l’entreprise sur-déterminaient et sur-déterminent encore l’absence de politique et d’orientation autre que financière. Ce que confirmait la Cour des Comptes dès 2015 en évoquant une « gestion sans stratégie ».

En juillet 2015, le gouvernement publiait une feuille de route pour un « un nouvel avenir des trains d’équilibre du territoire » suivie d’une phase de négociations avec les régions aboutissant en janvier 2016 au transfert de 18 lignes Intercités.

Pour le reste, et notamment pour la ligne Clermont – Paris, en tête des moins déficitaires parmi ces lignes d’intérêt public, on parlait dès lors d’un réseau Intercités « résiduel », ne représentant plus que 3 % des voyageurs-km annuels, contre 6,5 % précédemment. Ce réseau Intercités ne concerne désormais plus aucune destination au nord de Paris : il est celui du centre-sud du pays et du massif central (Paris – Clermont, Paris – Limpoges – Toulouse plus deux lignes de nuit : Paris – La Tour de Carol, Paris-Gap) auquel on ajoute la transversale Bordeaux – Marseille.

Bref un résiduel qu’en dehors de toute stratégie politique d’aménagement ferroviaire on destinait à la résilience dans l’attente… de l’attente ou bien de l’ouverture à la concurrence et/ou d’un ultime transfert aux régions (ce que n’exclut d’ailleurs pas la Cour des Comptes dans un rapport de 2019).

Le bilan des opérations était pour le moins éloquent : faute d’avoir pu se défaire de la dette dans une structure ad-hoc telle que RFF, la réunification de la vieille maison débouchait donc sur une organisation de ‘défaisance’ des lignes d’équilibre du territoire, confiée pour l’essentiel aux régions, et maintenues pour le reste sous perfusion hésitante.

Rien de neuf

Dès la feuille de route de 2015 et dans le cadre de Schémas directeurs de ligne, des projets de dépenses et d’investissements sont actés pour la période 2020 – 2025 : ils ont trait aux voies ainsi qu’au matériel roulant. Dans l’intervalle 2016 – 2020, un programme d’investissement annuel est calé pour un montant global prévisionnel de 113 millions d’euros.

La phase d’investissement 2020 – 2025 est cruciale, elle correspond à la date de fin de vie du matériel existant : « L’ancienneté élevée du parc (son âge moyen était de 36 ans fin 2016) et son hétérogénéité (10 séries à ce jour) pèsent sur la fiabilité du matériel et alourdissent les charges de maintenance », relevait la Cour des Comptes. Dès 2015, cette institution et les services de la SNCF estimaient l’investissement nécessaire en matériel roulant à près de 1,5 Milliard d’€ pour le réseau résiduel Intercités. S’y ajoutait un indispensable effort de rénovation du réseau ferroviaire emprunté par les trains Intercités chiffré, quant à lui, à 2 milliards d’euros (1,4 milliard pour Paris – Toulouse, 760 millions pour Paris – Clermont).

Une chose est dès lors évidente : le milliard confirmé par Messieurs Pépy et Djebarri en déplacement à Clermont-Ferrand en septembre 2019 n’est rien qu’une stricte confirmation du plan d’investissement prévu pour le Clermont-Paris dès 2015. 320 millions iront au remplacement indispensable du matériel après plus de quarante ans de vie ; l’investissement sur les voies sera principalement consacré au maintien de l’existant, sans poser la question épineuse de l’accès saturé à la région parisienne (760 millions). En tout et pour tout, ce programme d’investissement ne représentera jamais que 30 millions supplémentaires chaque année, par rapport aux dépenses d’équipement courant prévues entre 2016 et 2020.

Et la raison d’un tel choix est sans doute très simple : dans l’attente de l’ouverture à la concurrence prévue en 2022, l’opérateur SNCF (réunifié avec son réseau depuis 2015) ne souhaite pas porter seul des investissements dont pourraient profiter d’éventuels concurrents. Le pari de la concurrence porte sur l’accroissement possible d’une demande devant légitimer elle-même des investissements partagés… investissements sans lesquels l’accroissement de la demande risque de rester bien hypothétique, tant la substitution d’une logique de marché à une logique de service public n’est pas forcément plus efficace ni plus rationnelle en matière de service rendu.

Bref, si la réduction de l’endettement a pu constituer une politique ferroviaire en soi, l’ouverture à la concurrence en constitue une autre, toujours aussi vide de sens.

L’absurdité d’un système qui se survit à lui-même sans projet aucun n’est jamais plus visible que dans son financement : en effet, celui-ci dépend pour une bonne part d’une compensation d’équilibre destinée à amortir l’exercice déficitaire des lignes Intercités. Or cette compensation est versée à la SNCF via un compte d’affectation spéciale du budget de l’État, abondé aux deux tiers par des taxes ferroviaires acquittées par … la SNCF elle-même ! Ou comment, pour aller vite, le déficit compense le déficit. En matière de vision et de démarche stratégique, force est de reconnaître qu’on peut difficilement faire pire.

De fait, nous assistons au triomphe d’une vision strictement gestionnaire, comptable et financière qui, faute d’anticiper les décisions cruciales relatives aux besoins et à l’intérêt général, débouche inexorablement sur une politique de rentabilisation, de financiarisation et de filialisation sans projet, dans le cadre de laquelle des pans entiers du service existant sont livrés à eux-mêmes, laissés dans une situation appelant leur abandon progressif : le rapport Spinetta (2018) et sa proposition de fermeture des « petites » lignes n’est qu’une confirmation de ce management ferroviaire en cours. La confirmation d’une telle tendance pourrait déboucher sur le paysage ferroviaire suivant :

1- Réseau grande vitesse inter-métropolitain branché sur les « hubs » aéroportuaires : le train de la globalisation.

2- Cession / Régionalisation des lignes dites de proximité dont la tendance asséchera peu à peu l’arborescence à un réseau radial autour des pôles métropolitains régionaux : le train de la métropolisation.

3- Et maintien sous perfusion de l’Intercité résiduel desservant l’Auvergne et le Limousin, faute de poids politique et économique de ces territoires, eux-mêmes ‘résiduels’ du point de vue de la France des métropoles : le train des pauvres.

C’est en réponse à ces tendances lourdes de sénescence du service public ferroviaire qu’une réflexion de fond doit être portée sur le rail de cette France ‘résiduelle’ du grand centre, tant sur les lignes, leur entretien que sur leurs usages, du trafic passager au fret ferroviaire. Car sans politique ferroviaire d’ensemble, sans stratégie de transition ferroviaire pour le grand centre, le massif central et les lignes transversales, il y a fort à parier que le Paris – Clermont ressortira encore longtemps de ces lignes résiduelles pour lesquelles les crédits de paiement risquent de conserver un caractère aléatoire. Et ce, quelle que soit la vigueur des incantations patronales régionales à un surcroît de dépenses publiques (que la croissance de l’impôt ne saurait évidemment pas soutenir). Car si les objectifs sont ‘Capitales’, ils n’en restent pas moins contradictoires.