L’Allemagne, modèle de transition énergétique
Partager

Grâce à une politique réfléchie et coordonnée en amont, l’Allemagne est en train de réussir sa transition énergétique. Suite à Fukushima, huit centrales nucléaires sur dix-sept ont été fermées et la part des renouvelables dans le mix énergétique est de plus en plus importante.

L’analyse d’Amory Lovins, le spécialiste américain de l’efficacité énergétique.

Avant le désastre de Fukushima, l’Allemagne comme le Japon produisait 30 % de son électricité à partir du nucléaire. En quatre mois, l’Allemagne a rétabli et accéléré une politique élaborée avec les industriels dès 2001-2002.

Avec l’accord de tous les partis politiques, 41 % de la capacité nucléaire du pays, soit huit unités sur 17 au total (produisant 23 % de l’électricité allemande), dont cinq identiques à Fukushima et sept datant des années 70, furent fermées d’emblée, les autres fermetures étant prévues pour 2015-2022.

Une politique coordonnée et réfléchie en amont

Un ensemble de lois votées en même temps visaient à coordonner les initiatives en matière d’efficacité, de renouvelables, etc., pour garantir la fourniture d’énergie bas-carbone suffisante, pendant et longtemps après la sortie du nucléaire.

Cette politique n’était nullement improvisée, mais longuement mûrie, et cohérente avec celle de sept pays voisins – avant et après Fukushima. Le concept “Energiewende” (tournant énergétique) date d’avant 1980, et le virage net vers les renouvelables – aujourd’hui plus de 70 GW installés – date de 1991, vingt ans avant Fukushima.

Il fut renforcé par le subventionnement en 2000, ce dernier ayant chuté avec la réduction des coûts du renouvelable. De telle sorte qu’en 2011, si les prix ont augmenté, l’énergie disponible a pu remplacer entièrement celle perdue par la fermeture des huit réacteurs, 59 % de cette énergie de remplacement étant due aux renouvelables, 6% à une amélioration de l’efficacité énergétique et 36 % à une réduction temporaire des exportations d’énergie.

En 2012, ce sont 94 % de la perte due aux fermetures de centrales qui furent couvertes par les renouvelables, et en 2013… 108 %. À ce rythme, c’est l’équivalent de la totalité de la production nucléaire pré-Fukushima qui sera due aux renouvelables en 2016.

Baisse du nucléaire ne signifie pas augmentation des énergies fossiles

Contrairement à bien des affirmations erronées, la fermeture des huit réacteurs n’a pas entraîné une augmentation de l’utilisation des énergies fossiles. De 2010 à 2013, la production d’énergie nucléaire a baissé de 43,3 TWh, celle des renouvelables a augmenté de 46,9 TWh, et le secteur énergétique a remplacé à peu près exactement la consommation de pétrole et gaz, chers, par celle de charbon et lignite.

La législation (et l’économie) exigent que dès qu’elles sont moins chères, les sources renouvelables remplacent les source plus chères. Les fournisseurs d’énergie allemands avaient parié contre la transition énergétique, et ils ont perdu. Aujourd’hui, ils se plaignent que les renouvelables – dans lesquels ils n’avaient, pendant longtemps, pas assez investi – ont rendu leur production d’origine fossile trop chère.

La production électrique allemande n’a pas cessé d’exporter plus d’électricité qu’elle n’en a importé, même vers la France nucléarisée, notamment au cours des deux dernières années. L’économie allemande a créé plusieurs centaines de milliers d’emplois dans le secteur des énergies propres – un bienfait macroéconomique important de la transition énergétique.

Les prix globaux de l’électricité ont baissé de 60 % – dont 13 % dans la seule année 2013 – et les prix à l’année ont atteint les niveaux les plus bas depuis huit ans. C’est pourquoi les industries françaises fortement consommatrices d’énergie se plaignent des coûts énergétiques inférieurs (de 25 %) de leurs concurrents allemands.

Le mythe récent d’une “désindustrialisation” allemande ne manque pas d’ironie, car la grande industrie allemande paie uniquement ces prix globaux décroissants. Elle est en effet exemptée des coûts de renouvelables qui les réduisent, ainsi que des coûts de réseaux, les deux étant mis sur le compte des foyers domestiques (dont les factures sont constituées pour moitié de taxes). Cela dit, les factures des foyers ont cessé de croître, les anciens contrats étant renégociés.

Le plus avancé par rapport aux accords de Kyoto

Quant aux émissions de carbone des centrales thermiques, elles ont plutôt baissé en 2013 – la consommation de combustible solide étant légèrement plus forte mais compensée par une efficacité plus grande -, et il en a été de même pour les industriels.

Certes, le total des émissions a légèrement augmenté en 2012 en raison d’un hiver froid. L’augmentation en 2013 est due aux exportations record d’énergie réalisées grâce au charbon (!) pour des raisons liées uniquement au marché : un pic des prix gaziers, du charbon bon marché issu d’un marché américain réduit, et un marché européen excédentaire des droits carbone.

Au premier trimestre 2014, les émissions de carbone comme la consommation de charbon allemandes ont à nouveau diminué, et ceci devrait se poursuivre. L’Allemagne est de loin le pays européen le plus avancé en ce qui concerne ses obligations à l’égard de Kyoto.

Nucléaire qui baisse et énergies renouvelables de plus en plus fortes

En résumé, la politique allemande a donné aux renouvelables un accès équitable au réseau, a promu la concurrence et affaibli les monopoles, et a aidé les citoyens et les collectivités à acquérir la moitié de la capacité d’énergie renouvelable.

En 2013, la production d’énergie nucléaire de l’Allemagne a atteint son niveau le plus bas depuis trente ans, alors que les renouvelables, qui ont augmenté de 56 %, ont fourni 27 % de l’énergie domestique au premier trimestre 2014… avec même un pic à 74 % le 11 mai .

Source Reporterre : Article de Amory Lovins du 8 juillet 2014 (Rocky Mountain Institute) traduit et adapté pour Reporterre par Harry Bernas.