Transition : haro sur les mobilités
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Baisse du prix du pétrole, frémissements du marché automobile ou rétrécissement de la vision politique ? Difficile à dire ; toujours est-il que le temps est aux renoncements gouvernementaux en chaîne sur les mobilités et les alternatives à la route.

Avec 32 % de l’énergie consommée et 26 % des Gaz à effet de serre en France, avec le dernier rapport du GIEC et les conclusions alarmantes des climatologues du monde entier, les transports et plus largement la mobilité, devraient être au cœur des transitions énergétique et écologique en France. Pourtant, ils restent plus que jamais les angles morts de la politique gouvernementale. Renoncements et facilités finissent par esquisser en creux une politique des transports exclusivement tournée vers la route et digne d’un pays émergent. L’enchaînement des annonces de ces dernières semaines est particulièrement édifiant. Jugez du peu.

1- Abandon de l’écotaxe, c’est-à-dire d’une contribution au financement des alternatives à la route. Au terme de ce psychodrame national, le refus de « l’écologie punitive » aura coûté la bagatelle de 3 milliards d’euros ouvertement gaspillés : 800 millions d’euros d’avantages fiscaux supplémentaires pour les transporteurs routiers, 1,2 milliard d’euros de manque à gagner chaque année du fait de la suppression de l’éco-taxe, et 800 millions d’euros à payer au prestataire Ecomouv du fait de la rupture du contrat. Belle fessée financière, s’il en est !

2- Maintien des facilités accordées au secteur des transports en vue d’une écotaxe qui ne verra donc pas le jour :

– Autorisation générale de circulation des 44 tonnes qui implique 400 millions de coûts annuels supplémentaires d’entretien de la voirie

– Dépenses fiscales : baisse de la taxe à l’essieu de 50 millions par an

– Suppression de la subvention annuelle de l’État à Réseau Ferré de France pour le transport du fret (135 millions).

– Alors que dans le même temps, l’État portait de 7 à 10 % le taux de TVA sur le transport ferroviaire…

3- Haro sur la fiscalité écologique : suspension des travaux du Comité pour la fiscalité écologique et démission de son président, Christian de Pertuis. Puis maintien des niches fiscales anti-écologiques du secteur des transports. Sur les 22 milliards de la manne représentée par les niches anti-écologiques, la route se taille la part du lion :

  • 6,9 milliards d’euros par an pour la taxation avantageuse du diesel par rapport à l’essence,

  • 3,5 milliards d’euros pour l’exonération de la Taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE) pour l’aviation …

  • 2 milliards d’euros du taux réduit de TICPE applicable dans le BTP et l’agriculture

  • etc.

La France continue à plus subventionner les énergies fossiles que les énergies renouvelables. Cumulées, les niches fiscales dommageables à l’environnement et les aides directes aux transports les plus polluants représentent une dépense de plus de 15 milliards d’euros chaque année en faveur des énergies fossiles.

4- Plan de relance autoroutier qui dégagera près de 3,6 milliards d’euros avancés par les compagnies autoroutières en échange d’un manque à gagner lié à la prolongation des concessions (de 4 mois à 6 ans). Les compagnies autoroutières sont astreintes à 3,6 milliards d’euros d’investissement quand leur chiffre d’affaires annuel avoisine les 8 milliards, quand l’État est incapable de trouver 1 milliard d’euros pour enrayer le vieillissement du réseau ferré classique.

Les super-bénéfices autoroutiers auraient pu servir à financer les infrastructures

de mobilité durable ; ils pourront au pire servir à baisser le coût des péages ou au pire à étendre le système autoroutier. Voire les deux.

Par ailleurs, on assiste à

5- La réintroduction des travaux routiers dans les Contrats de Plan Etat-régions et réduction mécanique des crédits réservés au rail.

6- Transferts sur la route de services ferroviaires,

7- Libéralisation du transport interrégional par autocar

8- Centrage exclusif sur la « voiture propre » du volet Mobilités de la loi sur la transition énergétique.

***

Si en économie, la modernité consiste à appliquer les recettes de M. Gattaz père, il est évident qu’en termes de mobilités, le tout-routier est d’une brûlante actualité.

La route et l’automobile qui ont porté la croissance, l’industrialisation et la modernisation du pays durant l’après-guerre, restent aujourd’hui parées des mêmes attributs magiques.

  • Même si le coût du baril de pétrole a été multiplié par cent, que les territoires ne sont plus égaux devant l’accès et que pour un territoire « enclavé », le désenclavement désenclave moins qu’il ne satellise, crée moins de la valeur ajoutée qu’il n’étend la zone de chalandise du cœur urbain le plus proche.
  • Même si la croissance démesurée du parc automobile et routier génère des nuisances, des pollutions et des coûts majeurs qui pèsent lourd sur la compétitivité du pays ; mais qu’on ne voit pas tant ces coûts légitiment une commande publique, elle-même créatrice d’activités et de ‘croissance’ dans les territoires.

Quand M. Gattaz fils met en accusation les charges pesant sur le travail, le MEDEF est moins disert quant à celles que les lobbies routiers imposent aux territoires condamnés à se faire les déversoirs d’une industrie automobile qui produit plus de six voitures par seconde dans le monde entier.

Un patrimoine de 2000 milliards d’euros

Notre réseau routier est le plus important d’Europe. Il est l’équivalent de ceux de l’Allemagne et du Royaume-Uni réunis, et supporte un trafic de même niveau. Le trafic routier représente 87% des déplacements et 84% du volume de fret. Le rail avec 36 000 km de réseau assure 11% des déplacements et 8% du fret. Aujourd’hui le réseau routier national (confié à l’État) comprend 11 450 km d’autoroutes et 9000 km de routes nationales ; il écoule 30% du trafic.

Les voies départementales comptent 378 000 km et les voies communales, 630 000 km. Ce réseau diffus assure 70% du trafic.

La route française génère des surcoûts de structure liés à la faible densité démographique du pays. L’entretien des réseaux routiers départementaux et communaux (200 € par habitant et par an, 110 pour les communes, 90 pour les départements) est une charge récurrente qui contribue aux coûts de structure de notre pays. Mais elle est invisible (de moins en moins) et ne suscite pas de débats.

La valeur patrimoniale totale de ce réseau est estimée à 2000 milliards € en 2010. Son entretien coûte donc de plus en plus cher. Le taux annuel de renouvellement des routes est tombé à 5% en 2010, la valeur acceptable se situant à 8%.

Entretenir ou reconstruire, maintenir ou abandonner des routes vont devenir des questions centrales d’ici une dizaine d’années.

Écologiquement la question est déjà posée, quand elle se posera financièrement, l’heure des choix aura sonné. En espérant qu’il reste le choix de reports possibles, notamment vers le rail.