Innovation, oui. Mais quelle innovation ?
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On ne jure parfois que par l’innovation comme garantie si ce n’est synonyme de croissance et de prospérité. Il est cependant sage de chercher à discerner le fond de ce qui, trop souvent, ne s’apparente qu’à un slogan.

A l’innovation, les écologistes ajoutent deux autres principes comme base d’une économie durable : l’emploi durable de ressources renouvelables et les solidarités, humaines, sociales et économiques. Deux exemples récents attestent des limites d’une politique économique obnubilée par la seule innovation au détriment, soit des ressources, soit des solidarités.

Le premier exemple est régional et rapporté par les élus EELV au Conseil régional d’Auvergne. Lors de la Commission Permanente du 25 novembre, et l’examen traditionnel des dossiers d’aides aux entreprises dans le cadre du FIAD (Fonds d’Investissement Auvergne Durable), le groupe écologiste s’est opposé à l’attribution d’une aide de 18 000€ en subvention et 16 500€ en prêt à taux zéro à la SARL Appli’chape Cantal à Jussac. Tous les autres partis ont voté cette aide.

L’entreprise, spécialisée dans l’application de chapes liquides souhaite s’orienter vers les activités d’isolation thermique et phonique. Elle sollicitait le Conseil Régional pour prendre en charge une partie de ses investissements matériels et subventionner 4 emplois à créer.

Son projet était présenté en novembre 2013 comme « fortement innovant ». Et pourtant ! L’entreprise prévoit de se développer sur le marché de l’application de mousse polyuréthane.

Innovant au XX° siècle peut-être, mais certainement pas au XXIème ! L’énergie grise de ce matériau d’isolation est absolument catastrophique. L’énergie Grise correspond à la dépense énergétique totale pour l’élaboration d’un matériau, tout au long de son cycle de vie, de son extraction à son recyclage en passant par sa transformation

Pendant ce temps-là, l’association Chanvre Auvergne recherche 2 500 € sur Ulule pour boucler son projet visant à amorcer la fabrication d’isolant à base de Chanvre dans plusieurs villages d’Auvergne…

Entre une « innovation » hors-sol et hors contrainte, matérielle comme énergétique et une innovation liée aux contraintes énergétiques du monde de demain (sobriété, efficacité, circuits courts…), le choix le plus pertinent est évident en termes de développement territorial.

Toute innovation devrait aujourd’hui passer au crible de ces trois exigences : potentiel d’innovation, emploi durable de ressources locales, solidarités. L’exploitation du chanvre ou du lin au niveau régional répond à ces trois exigences : innovant en cela qu’il répond de manière pertinente au défi de la maîtrise de la demande énergétique, qu’il fait appel à une ressource locale et renouvelable et qu’il permet de développer des filières locales et de renforcer la cohésion, l’autonomie et les solidarités territoriales.

 

Énergie grise des matériaux d’isolation thermique (en kWh/m3) : quelques exemples
Fibres de lin : 30
Fibres de chanvre : 40
Cellulose de bois : 50
Laine de mouton : 55
Perlite : 230
Laine de verre : 250
Polystyrène expansé : 450
Polyesters : 600
Polystyrène extrudé : 850
Mousse de polyuréthane : 1 000 à 1 200

 

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Second exemple, national cette fois-ci, où l’innovation n’est viable et durable que si elle est partagée.

[Source : eelv.fr] Mardi 5 novembre, Fleur Pellerin, ministre des PME, de l’Innovation et de l’Économique Numérique, a présenté son plan « Une nouvelle donne pour l’innovation » (1). Si l’initiative est ambitieuse dans ses termes, les propositions concrètes ne sortent pas hélas de la logique actuelle d’une économie de l’innovation fondée sur la course aux brevets et l’appui au secteur privé, au lieu de favoriser l’essor de pratiques collaboratives et de technologies ouvertes, qui serait pourtant si profitable aux PME et à la recherche en général.

La prolifération de brevets dans les nouvelles technologies a produit et continue à produire des abus qui se comptent en milliards d’Euro, en investissements comme en procédures de justice. Ce fut le cas lors du procès retentissant entre Apple et Samsung en 2012 (2). L’innovation et la créativité se retrouvent bien souvent étouffées et empêchées par de telles pratiques, qui verrouillent la recherche.


Même l’aide aux petites entreprises, effort louable pour développer l’économie et l’emploi, se fait parfois au détriment du bien commun. Ainsi, en 2011, le CNRS a cédé aux petites entreprises, « pour une somme très modeste », tout un catalogue de brevets relatifs aux nouvelles technologies, développés dans les laboratoires de cet organisme public, et donc fruits de la recherche financée par le contribuable français. Les avancées médicales et la santé publique sont aussi victimes de cette logique invasive des brevets, comme le dénonce un rapport remis au ministre de la Santé ce mois-ci, qui pointe l’effarante hausse du prix des molécules. Un autre rapport, remis au Premier Ministre, signale d’ailleurs les freins mis par l’administration française à l’ouverture des données publiques (open data), alors que les autres pays européens progressent nettement dans ce domaine.

Pourtant, pendant ce temps, les initiatives collaboratives et ouvertes se déploient, dans les domaines de la culture, de la recherche ou de l’enseignement, et qui mériteraient un soutien plus important du gouvernement. Les MOOC (cours en ligne ouverts et massifs) inventent une nouvelle forme de pédagogie, innovante et populaire.

La querelle autour des brevets n’est qu’une facette d’un débat de société bien plus large, sur la notion de « propriété intellectuelle » et ses limites à l’ère du numérique. EELV et le parti Vert européen (Greens/EFA) invitent les acteurs de ces domaines ainsi que tous les citoyens à participer à la réflexion et à la lutte nécessaires pour faire émerger, enfin, une économie responsable, solidaire et innovante. Et donc écologique.