Luxfer, pour une politique économique de résilience
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Le gouvernement vient de refuser la nationalisation de l’usine Luxfer située à Gerzat. Le débat doit-il pour autant en rester à l’alternative réductrice entre disparition ou nationalisation ? La nationalisation est-elle l’alpha et l’oméga d’une politique industrielle et économique de territoire ?

Si la nationalisation constitue une réponse possible à l’urgence, elle n’épuise pas la question des finalités et des modalités d’une politique économique de territoire. A nos yeux, elle doit essentiellement répondre à l’une des questions qui se posent et se poseront à nous dans un avenir proche : celle de la résilience des territoires.
C’est-à-dire de la capacité des territoires et des hommes qui y vivent de répondre et de résorber peu à peu leurs vulnérabilités sociales, productives, sanitaires et fondamentalement écologiques que la crise actuelle exacerbe et révèle au grand jour.
C’est à une réduction forte de ces dépendances et vulnérabilités que doit fondamentalement servir une politique économique et industrielle de territoire.

Une nationalisation de l’usine Luxfer de Gerzat a pu sembler ces derniers jours constituer une solution rapide et viable pour les 136 salariés. Le gouvernement français l’a refusée !
C’est donc dans le cadre d’une réflexion plus large que celle de la seule propriété des moyens de production qu’il faut accueillir et accompagner les efforts accomplis depuis des mois par les salariés de cette entreprise pour inventer et produire une solution innovante à ce sabordage pur et simple par le propriétaire britannique.

Pour les écologistes, une politique économique de territoire – et notamment métropolitaine puisque en dehors des Régions, les métropoles sont les seules instances à disposer d’une compétence en matière de politique économique – doit être aujourd’hui l’outil et la conséquence d’une volonté de relocalisation, d’autonomie et de transition écologique de territoire.
Or celle-ci ne peut pas faire l’impasse de la question des priorités : les productions (les plus) nécessaires au territoire et à sa population, présente et future. Et ce, via une grille de problématiques fondamentales :
• celle des usages de la production : répondent-ils à des besoins essentiels ?
• celle des ressources disponibles et de la consommation de ressources, et au final de l’impact de cette production en termes de pollution et d’émissions de gaz à effet de serre, notamment : quel est l’impact écologique global de la production et comment peut-on le limiter voire le compenser ?
• celle de sa vulnérabilité (ou de sa robustesse) et par là de son implantation dans le territoire tant du point de vue des ressources, des marchés que la main d’œuvre et des savoir-faire : comment garantir une autonomie économique, industrielle, humaine et financière à l’activité afin de la pérenniser ?

Une fois fournies les réponses à ces questions, un tableau des productions nécessaires et prioritaires au territoire peut être dressé, et par conséquent une liste des actions prioritaires de politique économique à conduire pour (re)construire cette offre locale ou métropolitaine ; ainsi que l’offre industrielle à reconstruire à l’échelle de la nation dans une optique désormais bien comprise d’autonomie stratégique.

Une fois les priorités et les niveaux de priorités définis, viendra le temps des outils politiques. A nouvelle ambition, nouveaux outils. Nous aurons besoin :

• d’outils de planification de cette relocalisation et transition des productions répondant à nos besoins essentiels ;
• d’outils de développement et d’accompagnement, notamment financiers et capitalistiques, permettant de donner l’impulsion nécessaire à la (re)constitution de cette offre.

Pourquoi une échelle métropolitaine, si ce n’est élargie à tout le bassin de vie et d’activités clermontois ?

• Plus de proximité, de confiance :
Parce que moins distante de l’activité que n’importe quelle multinationale (la maison-mère de Luxfer a un site à Nottingham et un autre aux États-Unis) ou même que l’État, pour qui une nationalisation temporaire serait envisageable avant la remise de ses parts sur le marché d’ici quelques années…

• Une politique conduite dans l’intérêt du territoire :
La Métropole est la mieux à même de jouer le rôle de tuteur pour une reprise de l’activité par les salariés, en apportant les garanties nécessaires, les capitaux éventuels, en aidant et en accompagnant l’orientation la plus durable, socialement et écologiquement, pour l’entreprise et le territoire.

• Une opération gagnant – gagnant :
– assurant d’une part le soutien à la continuité et à la reprise de l’activité par les salariés ;
– développant, d’autre part, les compétences métropolitaines en pilotage économique de la transition / relocalisation via un modèle d’économie mixte de transition et de coopération à reconduire au plus vite sur l’ensemble des secteurs de production et de services essentiels du territoire : énergie, alimentation, agriculture, santé…
– et créant, enfin, une méthode fondée sur les principes d’un dialogue social territorial extensible au reste du territoire.

Pour ce faire, Clermont Auvergne Métropole ne part pas de rien : les modèles juridiques et financiers existent, notamment développés pour le petit monde des start-up (dont certains ont, un temps, voulu faire le dernier eldorado de la croissance). Si la Métropole s’est déjà frotté au principe du capital-risque, elle devra en élargir l’usage à la prévention et à la réduction des véritables risques pour notre territoire.
Par-delà et dans le prolongement de l’urgence de la situation de l’usine Luxfer de Gerzat, Clermont Auvergne Métropole pourrait étudier la mise en place de plusieurs dispositifs :

• Un fonds local de capital-investissement public ou mixte : ce modèle d’intervention économique peut sans doute doute allier la souplesse, l’agilité et l’impact nécessaire à des actions multiples de soutien à l’investissement et à la transition, comme à la préservation du patrimoine économique, via notamment des stratégies de reprise par les salariés.

• Un fonds de garantie publique apportées à l’emprunt des entreprises en faveur de la transition

• Un conseil de transition de l’économie en charge du dialogue social territorial de transition et fondé sur une pluralité de collèges : syndicats, patronat, citoyens, élus, usagers, scientifiques. Il serait en charge de la définition des priorités fixées à la transition de l’économie territoriale et des stratégies dans le temps. Il pourrait s’auto–saisir de toute décision relative à des aides publiques, des garanties ou des investissements ou prises de participation publiques dans l’économie locale.

• Une mission métropolitaine consacrée à la reprise par les salariés est à créer dans le cadre de la stratégie ESS de la Métropole : il serait pertinent de s’inspirer et de nouer des partenariats avec l’expérience conduite depuis des années par TRANSMEA* à l’échelle régionale.
[* Première société de capital-investissement dédiée à la reprise d’entreprises par les salariés, Transméa apporte un accompagnement et un financement adaptés aux salariés qui souhaitent reprendre leur entreprise. Créée en novembre 2007, elle est dotée de 7 000 000 € de capital.]

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Dans ce cadre-là, la reprise de Luxfer par ses salariés, appuyée par la Métropole, pourrait constituer une première en vue d’une future politique économique de territoire.
Que l’activité de cette entreprise soit nécessaire – ne serait-ce qu’au vu de l’actualité – ne fait pas l’ombre d’un doute.
Que l’on dispose des savoirs, savoir-faire et compétences nécessaires à la pérennité de son activité, cela n’en fait pas plus, tant c’est l’un des enjeux forts du maintien de cette activité historique et très spécifique sur le territoire.
Quel serait l’impact écologique du projet de reprise ? Cela reste à évaluer et à construire, idéalement avec l’aide des collectivités partenaires pour réamorcer l’activité.

Malheureusement, avec le refus du gouvernement de nationaliser l’usine Luxfer de Gerzat et celui du propriétaire Luxfer de vendre l’usine à ses anciens salariés, aussi injustes que ces décisions puissent paraître aujourd’hui, la situation est bloquée pour envisager une solution locale à la relance de l’activité. Il y aurait pourtant une opportunité pour le territoire et ses emplois; celle de soutenir et d’expérimenter une stratégie économique nouvelle de résilience et de consolidation et par là de transition des activités les plus nécessaires.