« Les Eglises peuvent provoquer un sursaut de conscience face à la crise climatique »
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Envoyé spécial du président François Hollande pour la protection de la planète, Nicolas Hulot ne croit guère à la réussite des négociations sur le climat en 2015. Il en appelle désormais aux autorités religieuses.

Vous avez rencontré en novembre 2013 le pape François, puis en janvier Bartholomée Ier, le patriarche œcuménique de Constantinople. Pourquoi cette démarche ?

Nicolas Hulot Je pense que les autorités religieuses peuvent provoquer un sursaut de conscience face à la crise climatique actuelle. Il n’est plus possible de nous en remettre aux seuls responsables politiques internationaux. J’ai rencontré plusieurs d’entre eux en 2013 et chacun, à sa manière, a mis en avant des arguments très «pertinents» pour ne pas agir tout de suite, mais plus tard.

A ce compte-là, tous les ingrédients sont aujourd’hui réunis pour que la conférence de Paris de 2015, où doit être signé le premier accord mondial engageant tous les pays contre le réchauffement, soit un échec. Les conséquences en seraient désastreuses.

Faire appel aux autorités religieuses, n’est-ce pas une sorte d’opération de la dernière chance ? Le monde est-il si imperméable à la raison ?

Si je veux être franc, il y a un peu de cela, c’est à la fois un acte d’espoir et de désespoir. Je ne comprends pas qu’il faille déployer tant d’énergie pour un enjeu qui nous concerne tous. Si rien ne bouge, il n’y aura que des perdants.

Nous sommes passés en l’espace de vingt-cinq ans d’une forme d’indifférence à une forme d’impuissance. La crise économique a focalisé l’attention des chefs d’État sur la lutte contre le chômage, et les a détournés de la crise écologique. Peut-être les autorités religieuses pourront-elles les rappeler à la raison…

Ma démarche vise aussi un second objectif. Je pense qu’une alliance entre ce que l’on peut appeler l’écologie scientifique, humaine et la théologie en tant que réflexion métaphysique n’est pas inutile pour appréhender en profondeur la crise de civilisation que nous vivons.

Il est fondamental que les Églises, et l’Église catholique en particulier, clarifient la responsabilité de l’homme vis-à-vis de la «Création», pour reprendre le langage des croyants. L’homme est-il là pour dominer la nature, comme l’affirment certains textes ?

Allez-vous rencontrer les représentants d’autres religions, comme l’islam ou le judaïsme ?

Je tiens à élargir le dialogue avec les représentants de toutes les religions. J’ai d’ores et déjà rendez-vous dans les semaines qui viennent avec l’ancien président du Conseil français du culte musulman, Mohammed Moussaoui, avant de rencontrer le président actuel, Dalil Boubakeur. Et il n’est pas impossible que je fasse un rapide aller-retour en Égypte.

Pourquoi la destruction de la nature devrait-elle mobiliser plus les croyants que la faim dans le monde ou la guerre en Syrie ?

Il ne s’agit pas de mobiliser plus. Mais les Églises peuvent-elles rester aussi peu audibles alors que l’œuvre de la Création est en train de se déliter sous leurs yeux ?

Les religions ont en commun de mettre au premier rang de leurs préoccupations la lutte contre la misère, les inégalités et l’injustice. Or, le changement climatique aggrave toutes ces souffrances dont les premières victimes, y compris sous nos latitudes, sont les plus démunis. Après avoir étudié les textes religieux pour préparer ma visite au Vatican, j’ai réalisé que l’Eglise catholique n’évoquait pas le changement climatique. Or, comme vous le savez, les choses mal nommées n’existent pas. Le sentiment est plutôt donné que les événements extrêmes actuels sont à mettre au registre des catastrophes naturelles. Il est donc important que l’Église précise clairement les choses.

Quels sont les leviers concrets qui pourraient être mobilisés par les autorités spirituelles ?

Nous avons déjà une bonne nouvelle : l’Église catholique va publier une encyclique sur l’écologie –normalement en 2015, mais restons toutefois prudents sur le calendrier. C’est une avancée importante. Surtout si la crise climatique est nommée en tant que telle. Deuxième projet lancé : un voyage du Saint-Père en un lieu qui incarne la nécessité de protéger la planète.

Une île du Pacifique ?

Il y a l’embarras du choix. Ça peut être une île du Pacifique puisque les petits États insulaires d’Océanie sont particulièrement inquiets. Mais j’aimerais tellement que le Saint-Père fasse un déplacement au Mont-Saint-Michel, lieu qui est un trait d’union entre la mer, le ciel et la terre et qui incarne aussi un lien entre culture et nature. Quelques personnes au sein de la communauté catholique de France travaillent sur cette idée. Certains vont penser que je prends mes désirs pour des réalités, mais pourquoi ne pas essayer? Tout doit être tenté.

Si le monde échoue à s’entendre sur le climat en 2015, la grande Histoire retiendra le nom de ceux qui n’ont pas joué leur rôle.

Est-ce que vous allez jusqu’à rêver d’une action symbolique œcuménique ? 

C’est mon souhait, évidemment. C’est en partie pour cela que j’ai rencontré le patriarche BartholoméeIer, qui travaille beaucoup au dialogue interreligieux. Il nous a promis de se faire notre relais auprès du Saint-Père lorsqu’il le rencontrera à Jérusalem, lors de sa visite en Terre sainte, fin mai. BartholoméeIer nous a dit être lui-même prêt à se joindre à une telle initiative.

Si l’on considère que l’avenir de l’humanité est en train de se décider aujourd’hui, je pense que nous pouvons y croire. De la même manière, sur un plan politique, il faut faire preuve parfois d’un esprit de concorde et poser une trêve, le temps de nommer les choses et d’ouvrir quelques pistes communes d’action. Tant que nous resterons dans nos divisions parfois légitimes mais souvent entretenues artificiellement, je crains que, sur ce sujet majeur, nous allions de reddition en reddition.

La croissance démographique joue un rôle dans la crise écologique. Pensez-vous que le Saint-Siège soit prêt à un revirement sur des questions comme le contrôle des naissances ou la contraception ?

A titre personnel, je pense que c’est un sujet central qui passe par l’éducation et la sensibilisation des populations. Là où l’Église catholique et les défenseurs de l’environnement peuvent se rejoindre, c’est la considération que nous sommes dans une société de gâchis où le consumérisme s’affiche comme le faux espoir du monde. Il y a énormément de prélèvements indus, dans tous les domaines, qui ne participent pas à l’épanouissement humain.

L’homme ne pose pas problème, disait en substance l’écologue René Dubos; ce qui pose problème c’est la masse de choses inutiles qu’il traîne derrière lui. Je pense que là ou nous avons un point de convergence majeur avec l’Église catholique, c’est sur la notion de sobriété qui va avec celle d’humilité.

Vous avez aussi l’intention d’interpeller les patrons ? Y compris les pétroliers ?

Il ne s’agit pas de faire de l’angélisme et je sais bien que des intérêts importants sont en jeu. Mais j’ai regardé ce qui s’est passé au Forum économique de Davos qui a eu lieu fin janvier.
Si le fossé entre les riches et les pauvres a été considéré comme le principal risque pour le monde, venaient ensuite la crise climatique et le chômage.

Les patrons commencent à prendre en compte l’idée que les ressources naturelles se raréfient. Certains ont aussi compris qu’il y avait de nouveaux marchés à prendre: rénovation des bâtiments, énergies renouvelables, stockage de l’électricité, etc.

En France, je multiplie les rendez-vous avec les patrons. Lors de la rencontre que j’ai eue la semaine dernière, il y avait là 150 responsables de grandes entreprises, de Lafarge à Saint-Gobain en passant par Total. Je peux vous assurer que beaucoup ont intégré ce qu’il en coûte de ne pas agir contre le changement climatique.

Les assureurs ?

Bien sûr! Ils disposent des chiffres qui traduisent le coût des catastrophes naturelles. Aux États-Unis, par exemple, en 1980, celles-ci ont représenté 3 milliards de dollars (2,2 milliards d’euros). En 2000, ce montant est passé à 20 milliards. Et en 2012, la somme a atteint 50 milliards rien que pour l’ouragan Sandy qui a frappé la Côte est.

Si l’on ajoute la sécheresse qui a touché cette même année le sud du pays, on tourne autour des 80 milliards de dollars. Et seulement un quart des dégâts sont couverts par les réassureurs.

Or, ce qui est vrai pour les États-Unis est vrai pour le reste du monde. Le coût de l’inaction contre le changement climatique devient énorme. En France, quand on aura tiré le bilan de ce qui s’est passé en 2013, la violence des tempêtes, les inondations à répétition, l’érosion du littoral, je pense que beaucoup se rendront alors compte de la réalité de l’impact négatif des dérèglements
climatiques.

Source : Le Monde.fr