L’atome sommé de se justifier
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Après les déboires financiers de l’EPR et du groupe AREVA, le récent rapport de l’Ademe, un temps mis sous le boisseau, révèle en fait que le nucléaire n’est plus compétitif face aux renouvelables : c’est un renversement total de la charge de la preuve ; les tenants du nucléaire sont désormais dans l’obligation de justifier leur légitimité. Il est temps de lancer sérieusement ce débat jusqu’à présent escamoté par les pouvoirs publics.

A la lecture du scénario « Vers un mix électrique 100 % renouvelable en 2050 » de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) qu’a révélé Mediapart dans son édition du 8 avril 2015, on comprend pourquoi les services du ministère de l’Ecologie et de l’Energie ont tout fait pour qu’il reste le plus longtemps possible dans un tiroir.

Certes, d’autres, notamment Négawatt et Global chance, avaient montré depuis plusieurs années qu’une sortie du nucléaire au profit des renouvelables était non seulement possible mais souhaitable en termes économiques et environnementaux.

Mais il ne s’agissait guère que d’experts « indépendants » qu’on pouvait soupçonner de parti pris écolo. Mais si l’Ademe, appuyée d’un centre d’études du propre sérail du Corps des mines (Armines Persée), se met à justifier en détail ce genre de scénario, la menace devient sérieuse.

100 % de renouvelables en 2050

L’Ademe démontre en effet, chiffres à l’appui, que l’idée d’un système électrique totalement renouvelable à l’horizon 2050 est non seulement techniquement, mais aussi économiquement crédible : des coûts d’électricité de 11,5 à 12 centimes d’euro par kWh (contre 9,1 centimes actuellement) qui risquent fort de se révéler inférieurs à ceux associés à une poursuite de la politique nucléaire actuelle.

On sait bien effet aujourd’hui, grâce au dernier rapport de la Cour des comptes, que la réhabilitation du parc (pour dix ou vingt ans supplémentaires) va augmenter les coûts de 3 à 4 c/kWh sans pour autant régler l’épineuse question du renouvellement du parc qui restera néanmoins indispensable dans vingt ans. Et les nouveaux malheurs de l’EPR, dont la cuve n’inspire pour le moins pas confiance, vont encore plomber son coût, si jamais il voit le jour, ce qui paraît de plus en plus improbable.

Dans ces conditions, il ne suffit plus de nier l’existence d’une politique crédible, différente de la politique actuelle, il va falloir démontrer que la politique actuelle est la meilleure…

Relancer un débat escamoté

En effet, si une politique tout renouvelable est possible, avec ses avantages évidents en termes d’environnement, d’indépendance énergétique et d’emploi, on voit mal pourquoi on s’obstinerait dans une politique dont les risques environnementaux (accident majeur, déchets, etc.) et industriels sont d’une autre ampleur.

C’est maintenant aux services du ministère, soit d’apporter la preuve que le scénario de l’Ademe ne tient pas la route, soit de montrer les avantages d’une poursuite de la politique actuelle.

En tentant de réduire l’Ademe au silence, le ministère de l’Ecologie ne chercherait-il qu’à gagner le temps nécessaire à la mise en place d’une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) dans la continuité de la politique passée, au besoin avec quelques inflexions ?

Ce serait une grave erreur, car, si finalement, c’est la perspective d’un système électrique à dominante renouvelable qui doit finalement l’emporter à long terme, c’est dès la prochaine programmation pluriannuelle énergétique (PPE) qu’il faut en prendre acte. Nous n’avons pas le loisir de perdre cinq ans de plus avant de prendre les mesures qu’imposerait cette nouvelle orientation, en particulier en termes d’infrastructures de transport et d’économie d’électricité.

C’est donc sans attendre qu’il faut lancer et arbitrer ce débat soigneusement escamoté jusqu’ici par les pouvoirs publics avec la complicité active du lobby nucléaire.

Source : Reporterre, le 13 avril 2015

Sylvain Lapoix