La santé n’a plus la pêche (1)
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Ils n’avaient pas besoin de cela. Et pourtant, l’actuelle épidémie de grippe vient un peu plus saturer les Urgences de Clermont-Ferrand, Urgences dont le personnel est en grève ‘silencieuse’ depuis le mois d’octobre dernier… arborant un brassard qui témoigne du mal-être persistant et grandissant lié à leurs conditions de travail.

Si cette grève est silencieuse, elle n’en est pas moins profondément révélatrice de la désagrégation croissante d’un système de santé que le monde entier nous envierait.

En cette année de rendez-vous électoraux majeurs, la santé devrait être placée au coeur des débats politiques tant les enjeux sont transversaux ; elle risque malheureusement de n’être abordée que sous l’angle hyper restrictif de son impact budgétaire.

Les urgences au cœur d’une spirale infernale

Cela fait plusieurs années que le sujet est posé, que le malaise grossit sans qu’une réflexion de fond ni que des mesures d’ampleur ne soient envisagées.

Saturation de l’offre de soins en urgences, augmentation régulière de la demande, épuisement des personnels, absentéisme et démissions qui épuisent un peu plus ceux qui ont tenu jusque-là, tassement si ce n’est réduction des moyens affectés, en hommes comme en matériel… les Urgences n’en peuvent plus de survivre à l’urgence de leur propre situation.

Le symptôme d’une affection générale

Mais si la situation est dramatique, elle est surtout révélatrice de la faillite d’un système de soins qui n’est plus adapté aux territoires ni aux modes de vie actuels.

Et les Urgences sont le premier amortisseur de ces dysfonctionnements et carences qui résultent de plusieurs phénomènes interdépendants :

  • l’inadéquation d’un système de santé conçu par l’État trop verticalement, sans véritable prise en compte des besoins et des attentes de chaque territoire ;
  • la lente sénescence d’une médecine de ville qui ne joue plus son rôle de médecine de proximité, ou de premier échelon, du fait

         – de l’évolution des aspirations des médecins libéraux en termes de modes de vie,

         – du maintien strict d’un numerus clausus entretenant la pénurie de médecins et de praticiens ;

         – de l’évolution de la relation médecin-patient (judiciarisation, attentes strictement prescriptives…);

  • le vieillissement de la population et le poids exercé par la gériatrie sur le système de soins d’urgences, faute d’exiger une médicalisation suffisante des EHPAD (Établissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes) qui, à la moindre alerte, se reportent sur les services d’urgence du système hospitalier ;

 

  • la hausse considérable du poids des ALD (Affections Longue Durée), maladies métaboliques et/ ou environnementales qui constituent 60 % des dépenses remboursées et sont en croissance constante.

 

  • sans parler, bien évidemment, de la combinaison de la contrainte budgétaire et d’une approche de plus en plus managériale du secteur de la santé au travers de laquelle on pense contraindre la croissance des dépenses en fixant des objectifs contraint de dépenses. Si les dépenses de santé augmentent globalement de 3 à 4 % par an, l’ONDAM (Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie – soins de ville et hospitalisation) n’est jamais voté qu’avec une hausse d’environ 2 %.

Face à l’ensemble de ces nouveaux défis, le système hospitalier est sommé de s’adapter, quasiment seul, dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint.

Des réformes à l’envers

Une réforme globale du système de santé et notamment du système hospitalier est donc absolument nécessaire. Encore faut-il l’aborder dans le bon sens.

Les dernières réformes ont systématiquement placé la rationalisation budgétaire – par ailleurs nécessaire – au centre des préoccupations. Or si la santé est reconnue comme une valeur collective et sociale en soi, elle peut imposer de lutter contre les gaspillages ou les dépenses inefficaces, elle ne peut en aucun cas être placée sous la coupe de valeurs strictement budgétaires et quantitatives. Cela relève d’un choix de société.

Choix de société que la généralisation d’une approche managériale et budgétaire, au-delà des nécessaires considérations de coût, fait pencher du côté non plus sanitaire mais financier.

La création des GHT – Groupements Hospitaliers de Territoire (issus de la dernière loi de modernisation de la santé) – pose un certain nombre de questions intéressantes ; elle pourrait d’ailleurs constituer une évolution intéressante si elle dépassait la simple rationalisation et mutualisation des moyens : malheureusement les comités de pilotage de ces structures sont très peu ouverts, et trop soumis aux décisions des seules agences régionales de santé (ARS).

Contrairement à leurs prédécesseurs, les CHT (Communautés Hospitalières de Territoire), les GHT ne sont pas fondés sur un projet médical préalablement élaboré en commun autour de filières de territoires, mais sur la base d’un projet médical unique imposé par l’ARS sans prise en compte ni des besoins locaux en santé, ni des échelles pertinentes d’intervention.

L’hôpital de Brioude, par exemple, est rattaché au GHT de Saint-Etienne malgré son accès bien plus facile à Clermont-Ferrand.

Cette réforme aurait pu jouir d’une certaine indulgence si elle s’était attaquée à deux écueils fondamentaux de nos politiques de santé :

– l’hyper-centralisation étatique qui accouche de dispositifs éloignés des réalités du terrain, avec un oubli des acteurs locaux et notamment des usagers ;

– une logique prioritaire de rationalisation budgétaire qui pose l’enveloppe budgétaire comme alpha et omega de la politique publique de santé.

Aussi, non fondée sur un projet médical préalable de territoire – alors que tout l’enjeu est là – la constitution des GHT repose essentiellement sur une volonté de mutualisation dont les modalités budgétaires et administratives vont aboutir à une filialisation des hôpitaux périphériques par rapport à l’hôpital support.

Ce qui risque à terme d’aboutir à une surcharge des hôpitaux supports, surtout si ceux-ci sont des CHU, comme cela est prévu sur Clermont-Ferrand, en dépit des recommandations de la loi. Cette réforme en Auvergne devrait donc aboutir à une saturation accrue du CHU, de ses personnels et de ses services. Bref, à l’aggravation de la situation actuelle.

[A suivre…]