Inondations : s’affliger des conséquences, s’accommoder des causes
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La BFMisation de l’information télévisuelle française confine aujourd’hui à une météorologisation de l’actualité. Tout n’est régulièrement plus que montée des eaux, cotes d’alerte, inondations, secours et précipitations. Et si l’on posait la question des causes sans le masque commode de la catastrophe « naturelle » ?

Flash-back sur l’année 2013 :

  • Déluge dans le Var – janvier 2014
  • Inondations en Bretagne – décembre 2013- janvier 2014
  • Tempête Xaver (Grande-Bretagne, Danemark, Allemagne) – décembre 2013
  • Tempête Christian (Allemagne, Danemark) – octobre 2013
  • Tempête Andreas (Allemagne, France) – juillet 2013
  • Inondations en Allemagne et République tchèque – juin 2013
  • Inondations à Lourdes – juin 2013 – octobre 2012

Sans évoquer, bien évidemment, ni le cyclone Oswald qui frappa l’Australie en janvier 2013, ni même la canicule actuelle qui écrase les antipodes. Ou encore les catastrophes à répétition dont sont victimes les États-Unis. Tous ces événements sont patiemment collectés et chiffrés par les grands assureurs mondiaux, qui en évaluent les coûts. A savoir les coûts portés à leurs cagnottes respectives et servant à dédommager leurs clients. Une catastrophe étant, à leurs yeux moins coûteuse en Indonésie qu’en Europe, non pas du fait de leurs gravités respectives mais du nombre de polices vendues dans ces deux pays…

On estime par exemple que l’ensemble des catastrophes de l’année 2013 a coûté près de 130 milliards d’euros, quand ce montant s’élevait à 196 milliards un an plus tôt. Tout financier et économique qu’il soit, ce chiffrage n’en a pas moins le mérite d’exister et de faire émerger le coût d’un ensemble de faits dont la régularité ne manque pas d’interroger. Faut -il en rester à l’écume émotionnelle des choses et des catastrophes ou bien se poser la question des raisons d’une récurrence de plus en plus coûteuse ?

 

Climat, sols et biodiversité

Les modèles météorologiques actuels semblent converger vers un lien entre la récurrence de ces événements extrêmes et le réchauffement climatique global. Même si cette corrélation n’est pas établie de façon certaine et définitive, on peut noter que la multiplication des catastrophes météorologiques ne dépend pas que de facteurs climatiques. Les raisons climatiques semblent se cumuler avec des facteurs liés à la dégradation des milieux : l’urbanisation comme l’artificialisation et la destruction des sols détruisent les capacités ‘amortissantes’ de la nature face à des événements extrêmes. En cause ici, le grignotage des terres agricoles ainsi que des pratiques culturales intensives portant atteinte tant à la biodiversité (importance des haies et des berges entretenues, des zones humides comme réservoirs d’absorption…) qu’à la qualité, à la vie et la tenue des sols.

 

« Croissance » varoise

Est-il dès lors si surprenant de voir ces catastrophes s’enchaîner;

en Bretagne : région moyennement urbanisée mais dotée d’un système agricole dont on connaît les excès et les échecs,

ou sur la Côte d’Azur, l’une des régions les plus urbanisées de France ?

Dans le Var, les services du département notent que « la forte pression foncière alliée à une forte attractivité touristique conduit à une augmentation régulière des surfaces artificialisées (14,7 % sur la seule période 1993-2002, enquête Teruti). Cette imperméabilisation croissante des bassins versants accentue le caractère torrentiel des écoulements. Ces effets sont aggravés par la constitution des sols, peu favorables à l’infiltration des eaux. Les cours d’eau, qui peuvent charrier nombre de matériaux solides, sont également fortement artificialisés ».

La démographie varoise est dynamique : le département est passé de 708 000 habitants en 1982 à 1 013 000 en 2011 (+ 43 %), ce qui a entraîné une explosion de l’urbanisation ; urbanisation réalisée sans souci d’économiser l’espace et « sans aucune prise en compte du risque inondation : des terrains inondables sont lotis, de vastes surfaces sont imperméabilisées de manière artificielle, les cours d’eau traversant les villages sont couverts, parfois a minima » comme le précisait le sénateur Pierre-Yves Collombat dans un rapport publié en 2012.

Peut-on encore parler de catastrophes naturelles ? Non. Elles étaient annoncées par toute une série d’excès humains bien identifiables.

***

Aujourd’hui, les assureurs sont les premiers à évaluer le coût de ce chapelet de catastrophes. Seront-ils aussi les premiers à en tirer les conséquences en révisant – à la hausse – le coût de leurs polices ? Et donc les premiers à prendre acte du poids croissant de ce fameux facteur naturel, invisible quant à ses contributions, coûteux quant à sa destruction ? Faudra-t-il que le secteur de l’assurance privée soit le seul à sanctionner les atteintes au climat, à la biodiversité, aux sols et aux réserves en eau ? Et cela au risque de l’injustice, sans aucune perspective ni de prévention, ni d’amélioration ?

L’assureur n’est pas le mieux placé pour passer d’un logique de réparation à une logique de prévention qui, par sa limitation des risques, diminue les impacts sociaux des catastrophes.

Poser les bonnes questions quant à cet enchaînement continu de dérèglements et de catastrophes implique de quitter le registre émotionnel et sensationnel pour prendre du recul et chiffrer le coût réel des atteintes à l’environnement qui sont autant d’atteintes à l’économie.

 

L’environnement, de la contrainte au facteur de développement

Une véritable révision de la fiscalité locale sur une base environnementale et écologique permettrait de donner un coût aux atteintes environnementales et de chiffrer l’impact réel de telle ou telle décision dans la durée, au-delà du seul impact financier.

Par exemple, ici dans la région, si le coût du foncier sur le lit de l’Allier était taxé selon son usage (agricole ou constructible), un pont à pilotis laissant divaguer la rivière (et libérant donc du foncier) serait bien moins coûteux qu’un pont à talus (entravant la libre divagation de l’Allier, même en cas de compensation). Moins onéreux en termes de coût actuel, il serait également moins cher en termes de coûts futurs puisqu’il permettrait d’éviter que la rivière ne décompense ses entraves en amont par des inondations répétées en aval (sur zones habitées ou d’activité).

Si l’Auvergne semble encore peu concernée et relativement préservée par ce genre de catastrophes environnementales, alors la mise en place progressive d’une taxation des dégâts environnementaux trouverait sa légitimité moins dans la prévention des risques et la protection des milieux que dans l’exploitation d’un véritable avantage comparatif : dans une région riche en écosystèmes diversifiés, une fiscalité écologique locale permettrait d’exploiter au mieux la rente environnementale, véritable aubaine pour les territoires ayant échappé aux booms démographiques, immobiliers et commerciaux.

L’accélération de ces catastrophes météorologiques qui n’ont plus rien de naturel tendent à faire lentement émerger un autre aspect de l’attractivité des territoires : l’attractivité environnementale, à la fois économique, sociale, humaine et culturelle. Sans doute est-il temps d’investir résolument dans la protection et « l’accumulation » du « capital vert » régional.