Dossier déchet (4) – Et si on parlait d’économie circulaire ?
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Concept encore flou pour le grand public, l’économie circulaire propose un changement de paradigme de notre modèle économique, où la consommation de matière et d’énergie reste trop élevée sur une planète aux ressources limitées. Elle est au carrefour de différentes grandes compétences portées par les collectivités : déchet, développement économique, développement durable et nécessite l’implication des acteurs économiques du territoire afin de ne pas rester un concept creux qui masquerait un manque d’ambition.  

Mieux produire, mieux consommer, moins jeter 

L’économie circulaire s’attaque à tous les chaînons de notre circuit économique :  

  • Que ce soit au niveau des producteurs : en les incitant à réduire la consommation de ressources via l’écoconception, ou l’économie de la fonctionnalité, en mettant en place des moyens d’approvisionnement plus durable (notamment en privilégiant les matières recyclées, agrisourcées ou locales) ou en mutualisant les ressources (en matière, en énergie) et les déchets avec d’autres entreprises (par le biais de modèles d’écologie industriel et territorial), 
  • Que ce soit au niveau des consommateurs : en les sensibilisant à l’éco-consommation, en soutenant les initiatives orientées vers le grand public, en faisant la promotion de la réparation, du réemploi, sources de création d’emploi locaux, 
  • Ou au niveau de la fin de vie des produits : en soutenant les nouvelles filières de recyclage, en favorisant le tri auprès des particuliers. 

Le champ d’intervention est donc vaste, il ne se cantonne pas uniquement à la seule question des déchets mais intervient sur le volet énergétique, sur l’agriculture…, bref sur tous les champs de l’activité économique. La collectivité ne peut pas agir sur tous les fronts, néanmoins, elle peut être à l’origine ou en soutien de projets permettant de développer l’économie circulaire sur son territoire. Les acteurs agissant pour une économie plus sobre sont toujours plus nombreux, partout en France mais aussi sur notre territoire, avec une spécificité : ces projets sont régulièrement engagés au sein de l’économie sociale et solidaire. Nous avons décidé de vous présenter un panorama de ces acteurs qui remplissent des missions d’intérêt général.  

Les 7 piliers de l’économie circulaire selon l’ADEME 

Structurer les différentes filières du réemploi et de la réparation 

Meubles, matériels informatiques et électroniques, électroménager, matériel du BTP, emballages en verre, nous jetons une quantité importante de produits pourtant encore utilisables : en 2019, sur le territoire de la Métropole, ce n’est pas moins de 765 t d’électroménager, 380 t de textiles, 1 500 t de mobilier ou 730 t de plâtre qui ont été déposés en déchèterie, auxquels on peut ajouter 7 700 t d’encombrants non valorisés.  

Promu dans la Loi de Transition Énergétique pour la Croissance Verte, puis récemment dans la loi Anti Gaspillage et Économie Circulaire, le secteur du réemploi connait un essor important bien que les modèles économiques restent fragiles. A cet égard, les collectivités territoriales ont un rôle pour permettre d’atteindre l’équilibre économique. La mise en place d’un fonds de soutien au réemploi pour les projets insérés dans l’économie sociale et solidaire par les éco-organismes devrait aussi pouvoir renforcer la viabilité de ces entreprises.  

Dans le Puy-de-Dôme, les ressourceries se sont développées à partir de 2015, parmi lesquelles la Ressourcerie du Pays d’Issoire ou encore Recup’Dore Solidaire à Saint-Amant-Roche-Savine. Pour cette dernière, un partenariat fort s’est noué avec la collectivité en charge de la collecte des déchets Ambert Livradois Forez. Elle a notamment ouvert dans chacune de ses sept déchèteries un espace réemploi afin de déposer les objets, meubles, électroménagers qui pourrait avoir une seconde vie. L’activité de la Ressourcerie a permis de détourner 50 t de déchets en 2019. En contrepartie, la collectivité finance la structure à hauteur de 140 € par tonne détournée ainsi qu’une contribution pour ses activités d’insertion par l’activité économique à hauteur de 10 000 €. En parallèle, la Ressourcerie développe d’autres activités pour viabiliser son modèle économique : collecte à domicile et en entreprise, utilisation d’une imprimante 3D pour développer la réparation, action de sensibilisation… 

Afin d’augmenter la collecte de matériaux réemployables au sein des déchèteries, des collectivités comme le SYBERT, syndicat de traitement des déchets du Grand Besançon, ont mis en place un partenariat avec les ressourceries de leur territoire afin de proposer une mission d’agent valoriste au sein des déchèteries. Leur rôle est de conseiller les usagers sur ce qui peut être réemployé et d’orienter ces déchets vers les espaces de réemploi. En 2017, ce sont presque 900 t de déchets qui ont pu être détournées des déchèteries, permettant des économies de transport et de traitement réinjectées dans l’économie sociale et solidaire locale.  

Le SMICVAL est allé encore plus loin, en repensant complétement le concept de déchèterie, avec le concept du magasin inversé. En résumé, l’usager qui vient en déchèterie passe d’abord par toutes les zones de réemploi, où il peut déposer le matériel dont il souhaite se séparer mais qui reste encore utilisable ou réparable, et seulement en fin de visite, il dépose ses déchets non valorisables. Ce concept a permis de réduire fortement la quantité de déchets envoyés en incinération et développe auprès des habitants une nouvelle culture économique, basée sur le don et l’échange.  

Les ressourceries spécialisées se mettent peu à peu en place elles aussi : que ce soit dans le secteur du BTP (Minéka à Lyon), de l’évènementiel (telle que la Ressourcerie Créative à Paris), sur le matériel sportif (la Recyclerie Sportive à Massy), pour les jouets (association Rejoué) … 

Dans le département, plusieurs structures ont émergé dans le même objectif de réemploi de la matière. C’est le cas de l’association Métabatik. Installée à côté de l’ISDND de Puy Long à Clermont-Ferrand, elle promeut la mise en place d’une filière de réemploi des matériaux du BTP. Bien qu’il soit possible mais encore compliqué, notamment dans le cadre des garanties décennales, d’utiliser les matériaux issus du réemploi pour toutes les phases de construction d’un bâtiment, certains matériaux ou éléments sont plus propices au réemploi au sein d’un chantier.  

Pour rappel, les déchets du BTP représentent 80 % de la production totale de déchet en France, soit 227 M de tonnes, dont env. 42 M de tonnes pourraient être réemployées : matériaux inertes tels que la pierre, les gravats, les briques, les huisseries, les charpentes… 

Une partie de ces déchets, notamment les huisseries, se retrouvent dans la benne encombrant des déchèteries alors qu’elles pourraient être réemployées. L’objectif est donc d’intervenir en amont de la phase de déconstruction, afin d’établir un diagnostic produits matériaux déchets (obligation réglementaire introduite par la loi AGEC pour tout bâtiment supérieur à 1 000 m² et les bâtiments industriels) et identifier les matériaux réemployables.  

Une fois collectée, l’association les propose à ses adhérents, que ce soit des particuliers dans l’auto-construction, des architectes, afin de réintroduire ces matériaux dans le circuit de consommation, et boucler la boucle. 

Sur la plateforme de stockage de Metabatik, à Puy-Long 

Autre projet en phase d’émergence sur la Métropole, Artex est une ressourcerie créative qui a un triple objectif : remettre sur le marché les éléments de décor utilisés dans le domaine artistique, collecter des matériaux (bois, tissu…) au sein des entreprises qui n’en ont plus l’utilité pour la revente, et proposer un atelier de création avec les machines et matériel nécessaires (une sorte de tiers lieu artisanal). Les porteurs de projets souhaitent notamment faire écho à la candidature de Clermont-Ferrand en tant que capitale européenne de la culture en 2028 et apporter un volet écoresponsable, dans un secteur (celui de l’évènementiel) souvent épinglé pour ses manques d’engagements dans le développement durable.  

Pour ces deux projets, l’engagement des collectivités, notamment dans la mise à disposition du foncier, est essentiel dans un secteur où la rentabilité peut être longue à atteindre. Les ressourceries ont besoin d’espace de stockage proches des axes routiers pour une meilleure accessibilité, une denrée rare dans les grandes villes où la pression foncière entraîne une hausse des prix.  

Sur la réparation, notons le projet Envie, développé par Emmaüs qui permet de vendre à prix réduit de l’électroménager reconditionné et/ou réparé dans un secteur où de nombreux appareils en état de fonctionnement pourraient pourtant être facilement réparés et remis sur le marché.  

Et le réemploi des emballages ? 

La réintroduction d’un système de consigne à l’échelle de l’ex-Auvergne pourrait aussi se révéler source de valeur ajoutée sur le territoire. Celle-ci peut aussi bien se faire sur les bouteilles, pots et bocaux, comme cela a pu être le cas par le passé, mais elle peut aussi être utilisée dans la restauration et notamment la vente à emporter, dont la production de déchets a explosé en parallèle au développement du secteur, notamment lors du confinement. 

L’ADEME évalue la quantité de déchets générés par la restauration rapide à 180 000 t, auxquelles il faudrait ajouter les déchets produits par le secteur de la livraison pour la restauration traditionnelle.  A Clermont-Ferrand, l’association Raboule essaie justement de lutter contre l’emballage jetable en mettant à disposition de la restauration des contenants en verre réutilisables et lavables, ainsi qu’une application permettant d’externaliser le système de consigne et d’éviter les galères de comptabilité. Concernant le lavage, il pourrait à terme être réalisé par une structure d’insertion. 

Un autre projet de consigne est en cours en Auvergne : la PAMPA. Ce projet s’oriente plus vers le réemploi des bouteilles, pots et bocaux utilisés par les producteurs dans leur vente en circuit-court. Certains producteurs pratiquent déjà la consigne localement avec leur propre système de lavage, mais rien de généralisé. L’objectif serait de proposer une solution au plus grand nombre, avec un système logistique adapté et un centre de lavage exploitée par une structure d’insertion ainsi qu’une plateforme d’achat mutualisé en fourniture de matières premières. Là aussi, l’enjeu est de taille : Il reste encore, dans le gisement des déchets gérés par les collectivités, plus d’un million de tonnes de déchets d’emballages de boissons non recyclés, et donc des coûts supplémentaires de traitement. En Drôme Ardèche, un projet précurseur, Ma Bouteille s’appelle Reviens, a vu le jour en 2018, notamment par le biais du programme Start-Up de Territoire. En 2020, la structure a pu laver 250 000 bouteilles, dans le respect de la hiérarchie de traitement des déchets. 

La collectivité peut aider la structure dans la sensibilisation des acteurs, et réutiliser une partie des économies générées par la réduction des déchets dans le soutien à l’émergence de ces structures. 

Identifier les besoins du territoire 

Les projets d’économie circulaire émergent régulièrement d’attentes citoyennes : les structures telles qu’Emmaüs ou les ressourceries en sont un exemple concret. Il serait intéressant de faire l’inventaire de ces attentes citoyennes afin d’identifier les possibilités de création d’activité endogène à chaque territoire, une opportunité pour développer une autre manière de mener une politique économique. 

Le programme Start-Up de territoire est un des outils sur lesquels il nous paraît intéressant de s’attarder. Basé sur des sessions d’intelligence collective avec les citoyens et les collectivités, il permet la création de projets par les citoyens, basés sur leurs besoins, et toujours en lien avec l’Economie Sociale et Solidaire. Le projet cité ci-dessus, Ma Bouteille s’appelle Reviens, complète alors un nombre important de projets lancés sur la thématique de l’économie circulaire : collecte des biodéchets, productions de chaussures à partir de matériaux recyclés, FabLab créatif, épicerie vrac, location d’œuvres d’art, une conserverie, un projet d’aide à l’installation de maraîcher… 

Plus orienté vers la gestion des déchets, le SMICVAL a mis en place son propre incubateur afin de faire émerger des solutions locales de valorisation de flux de déchets jusque-là non valorisés. Baptisée NOUVEL’R, cette association regroupe de nombreux acteurs publics et privés souhaitant développer l’économie circulaire sur le territoire. Elle propose aux porteurs de projets un soutien à l’entrepreneuriat, des conseils techniques et réglementaires, la mise à disposition de locaux notamment pour entamer une phase d’expérimentation et un focus sur la logistique et la matières premières secondaires à disposition (notamment en déchèterie) 

Ce projet a permis la création de plusieurs innovations en termes de valorisation des déchets. C’est le cas par exemple de l’entreprise Circouleur, qui recycle les peintures usagées pour en faire de nouvelles, ou encore le projet Eco-Mégot, qui permet la valorisation de la totalité du mégot de cigarette.   

A Clermont-Ferrand, une première initiative dans ce sens a été mise en place par l’intermédiaire du Valtom et de CoCoShaker, incubateur de projets engagées dans l’économie sociale et solidaire. Une promotion spéciale “économie circulaire” a été créée et les premiers projets ont pu être accompagnés, sans encore de véritable travail de valorisation des exutoires issus des déchèteries. En parallèle, certains projets ont pu bénéficier du soutien de l’écosystème auvergnat. C’est le cas par exemple de Capillum, jeune entreprise engagée dans la valorisation des cheveux issus des salons de coiffure. Les cheveux représentent env. 50 % du contenu de la poubelle des déchets non recyclables des artisans coiffeurs. En les détournant de la poubelle, cette entreprise permettrait donc de réaliser des économies de collecte et de traitement aux collectivités. Certaines ont d’ailleurs noué un partenariat avec l’entreprise afin d’inciter les coiffeurs à travailler avec Capillum avec un argument intéressant : faire baisser la redevance spéciale, taxe pour les professionnels basée sur la quantité de déchets collectés.  Une raison supplémentaire pour que Clermont Auvergne Métropole adopte cette taxe incitative auprès des professionnels ? 

Proposer une nouvelle organisation au sein des zones d’activités : les démarches d’écologie industriel et territorial (EIT) 

C’est un véritable changement de paradigme à adopter au sein des services en charge des zones d’activités. Le concept de l’EIT entraîne une nouvelle réflexion stratégique d’installation des entreprises avec la prise en compte les complémentarités d’activités et les potentiels synergies entre acteurs au sein d’une même zone.  

En résumé, l’objectif est de mettre en place des démarches d’animation des zones d’activités afin de permettre aux acteurs de se rencontrer et de créer des liens favorisant l’émergence de synergies, d’économies voire de potentiels projets de développement, source de création de richesses. 

Pour ce faire, les personnes en charge de l’animation de la zone d’activité doit en premier lieu étudier le métabolisme de cette zone, c’est à dire tous les flux entrants et sortants de chaque acteur installé et essaie de trouver d’éventuelles complémentarités : 

  • Des complémentarités de mutualisation : créer des parkings, des espaces de restauration communs, des mini-déchèteries/espaces de réemploi, des contrats mutualisés pour la gestion des espaces verts, la surveillance… 
  • Des complémentarités de substitution : l’exemple le plus parlant est celui de la réutilisation de la chaleur fatale d’une entreprise (un déchet en quelque sorte) comme source d’énergie pour l’entreprise voisine. Ce travail d’identification de réutilisation de la matière et de l’énergie sur une même zone peut entraîner de potentiels création d’activités, toujours dans ce souci d’optimisation de la ressource. Ainsi, certaines structures ont pu, à partir des déchets d’un acteur voisin, créer de nouveaux produits ou de nouveaux usages avec un double intérêt : réduire le coût de gestion des déchets des uns et réduire le coût d’approvisionnement de l’autre.  

Des outils ont été développées afin de faciliter l’identification de ces synergies. Localement, l’association Maceo a développé avec l’Ecole des Mines de Saint-Etienne, un outil d’aide à la décision permettant d’identifier le potentiel d’un territoire pour mettre en œuvre des démarches d’’EIT.  

En parallèle, le réseau SYNAPSE collecte les retours d’expérience de plus de 300 initiatives d’EIT lancée en France, plus ou moins avancées selon les démarches. En Auvergne, nous pouvons noter deux démarches différentes : le Naturopôle de Saint-Bonnet-de-Rochefort, démarche initiée par une entreprise et qui aujourd’hui structure toute la vie économique de cette zone d’activité ou Eco Res’Peer, démarche initiée par le Syndicat du Bois de l’Aumône, en charge de la collecte des déchets du nord du Puy-de-Dôme et la communauté de commune Riom Limagne et Volcans, sur la zone d’activité du PEER.  

La collectivité peut avoir tout intérêt à développer un rôle de soutien et d’initiation de démarches d’économie circulaire. Outre la simple question de réduire le coût de la gestion de ses déchets ou d’autres externalités négatives (assainissement de l’eau, pollution, consommation du foncier…), elle peut avoir un impact sur les dynamiques économiques et d’emplois : 

  • La question des politiques d’attractivité du territoire est requestionnée par le développement d’une politique de développement économiques endogène, en partant des besoins des acteurs du territoire, 
  • Les projets en lien avec l’économie circulaire permettent en parte de développer des activités dans le cadre de l’insertion par l’activité économique. 

Sur cette thématique, malgré des actions ponctuelles, il reste pour Clermont Auvergne Métropole, à coordonner une politique d’économie circulaire, définissant ses priorités et ses objectifs.