Cent jours ni vision
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Au début de cet été, on ne parlait que de Cent jours et de volontarisme politique. Depuis la vague est retombée, laissant pour ce qu’il est ce refrain bien français. Les Cent jours ou un mode de réforme à l’esbrouffe : reculer pour moins sauter ou la technique du grand bond en arrière.

On connaît la chanson : moins la réforme semble crédible, possible ou probable plus fleurissent les appels au sursaut national, local ou municipal.

Au-delà de la formule éculée, de quoi les Cent jours sont-ils donc le nom ? De deux choses principalement, d’une défaite et d’une régression conservatrice.

1- La défaite, tout d’abord, celle de Waterloo.

La légende des Cent Jours a beau masquer l’échec, c’est l’échec qui crée la légende de ce retour fulgurant de l’Empereur.

Et plus s’accumulent les Waterloo, plus la légende fait retour.

Waterloo électoraux, waterloo économiques, sociaux et écologiques, il devient urgent de se draper dans l’honneur éphémère d’une fougue tout à fait romantique, vieille de deux cents ans. Les Cent jours sont l’autre chant de l’impuissance.

2- Mais les Cent jours et cette célébration de la fougue napoléonienne ne sont pas que l’éternel retour d’un des moments fondateurs du sentiment national. C’est aussi une marque tout à fait manifeste de régression.

Cette forme de retour à la France impériale des origines de la France contemporaine est également un retour aux traits les plus conservateurs de notre pays. Prenons deux exemples particulièrement édifiants pour ce qui est de la gauche de notre échiquier politique.

a- Les Cent jours ou le triomphe de l’affirmation virile :

En 2006, Dominique de Villepin communiquait explicitement sur ses Cent jours à Matignon. Il s’échoua piteusement sur le CPE (Smic Jeune) après avoir confié que la France avait « envie qu’on la prenne, [que] ça lui démange[ait] dans le bassin » [Franz Olivier-Giesbert – La tragédie du Président, Flammarion. mars 2006]. L’année passée, Christiane Taubira ironisait sur le discours à la « virilité intimidante » d’un homme qui, aujourd’hui à la tête du gouvernement, en fait le fond – ou la forme – de sa politique.

La fougue du hussard qui, sabre au clair, chevauche droit à l’abîme, n’est rien moins qu’un symbole d’une virilité extrême, ramassant en une image toute une conception de la politique, si ce n’est de la société, qui nous ramène à la haute idée que Bonaparte se faisait des femmes.

L’originalité des Cent Jours est de rapprocher l’expression de la virilité de celle de la défaite, ou de l’impuissance. Plus l’impuissance est manifeste, plus la virilité s’exprime.

La philosophe Valérie Charolles soulignait récemment combien la « déclinologie » est une spécialité masculine, et plus précisément de la gent masculine occidentale.

La remise en cause progressive de la dominance masculine dans nos sociétés depuis quelques décennies – dominance dont le monde politique est l’un des bastions les plus protégés – renvoie à la crise de la politique telle que traditionnellement pratiquée, masculine, virile, « cumularde » et notable, coupée du monde réel et d’une société civile de plus en plus dynamique.

Face à cette affirmation féminine comme à l’impuissance confirmée des plus anciennes recettes, que reste-t-il à la classe politique si ce n’est ce retour morbide à la proclamation très virile de nouveaux Cent Jours ?

b- Dans le bonapartisme tonitruant des Cent Jours se terre également, en plus de la virilité, un autre de ces blocs de granite que la période napoléonienne a légué à la France contemporaine : l’économie politique, comme constitution d’un marché (et d’une nation) intégré et comme enrichissement d’un État centralisé.

Cette politique économique industrielle et colbertiste, mais fondée sur les principes du libéralisme économique, est celle de l’école économique française fondée par Jean-Baptiste Say. Or elle n’est autre qu’une politique de l’offre pour l’offre et par l’offre, administrée depuis Paris.

Qu’une partie de la gauche française se targue aujourd’hui d’en faire la (re)découverte est-il le signe d’une profonde nouveauté ? On peut en douter.

Surtout si l’on en revient aux sources du Traité d’économie politique (1803) de JB Say ainsi qu’à sa fameuse Loi des débouchés : la production produit sa propre demande ; elle peut donc croître infiniment. D’autant que cet auteur est très optimiste sur la disponibilité des ressources naturelles : « Les richesses naturelles sont inépuisables, car, sans cela, nous ne les obtiendrions pas gratuitement. Ne pouvant être ni multipliées ni épuisées, elles ne sont pas l’objet des sciences économiques. »

Qu’un auteur du début XIXè parle de richesses naturelles gratuites, cela peut sembler compréhensible. Que des « progressistes », rivés à un système d’offre et de demande hors-sol, continuent à fonder leurs décisions sur de telles prémisses reste pour le moins… surprenant.

***

Défaite, machisme et productivisme… Placés sous le signe de ce funeste triptyque, le motif des Cent jours est voué à nous convaincre que la réforme est en marche quand il ne s’agit en fait que de conserver les choses en l’état.

Cela étant, dans l’excès même de ses propres caractéristiques, il nous indique où pourrait se situer l’éclosion d’une offre politique qui créerait sa demande en dehors du déclin, du trop masculin et du productivisme forcené…