Tricastin : une centrale sans failles ?
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Après les deux intrusions dans les centrales du Bugey et de Civaux, qui étaient venues titiller la campagne présidentielle en mai 2012, c’est maintenant au tour de la centrale du Tricastin, dans la Drôme, d’être visée par des militants anti-nucléaire. Vingt-neuf membres de Greenpeace y ont pénétré, lundi 15 juillet, en une vingtaine de minutes – sans atteindre toutefois les zones les plus sensibles. L’action, qualifiée de purement médiatique par le gouvernement, visait à pointer les failles de sécurité de cette centrale – classée « parmi les cinq plus dangereuses de France » par l’ONG environnementale – et demander sa fermeture.

« Comme Fessenheim, la centrale du Tricastin est une de celles qui connaît le plus de risques de sûreté et d’agressions externes naturelles ou humaines », assure Greenpeace sur son site. L’association attaque sa vétusté – ouverte en 1980, la centrale a dépassé, grâce à un avis favorable de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), sa durée de vie prévue initialement à trente ans.

Mais pas seulement : la centrale du Tricastin, énumère Greenpeace, présente « une vingtaine de fissures sur la cuve du réacteur numéro 1, dont une de 11 mm », une exposition aux risques d’inondation et de séisme, ou encore un « important risque industriel ». Elle serait en effet localisée à moins de 10 km de six sites classés « Seveso ». La centrale, qui répond, selon EDF, à 45 % des besoins énergétiques de la région Rhône-Alpes, est aussi située à moins de 80 km de 1,6 million de personnes. Et à proximité de trois aéroports.

« EN RETRAIT »

Derrière le discours militant de Greenpeace, la centrale du Tricastin présente-t-elle de sérieux risques pour la sécurité et l’environnement ? L’appréciation de l’ASN pour l’année 2012 glisse en tout cas quelques bémols : le gendarme du nucléaire critique autant ses performances en matière d' »essai périodique » que sa « rigueur » dans la mise en œuvre des opérations de radioprotection, ou encore ses « progrès fragiles » en ce qui concerne la sécurité au travail.

Surtout, l’Autorité relève que, en matière « de protection de l’environnement, […] les performances du site du Tricastin sont en retrait par rapport à l’appréciation générale que l’ASN porte sur EDF ». Autre point d’inquiétude : une demande d’amélioration de sa protection face au risque d’inondation datant de 2011, qu’EDF n’a toujours pas pu résoudre.

La centrale du Tricastin figurait aussi en bonne place dans les conclusions du rapport de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), commandé à la suite des « stress tests » demandés aux exploitants par l’Europe et par le gouvernement français après l’accident de Fukushima. Le document évoque à son sujet des normes de sécurité jugées obsolètes face au risque d’inondation, mais aussi son exposition particulière aux risques industriels. Des risques face auquel le degré de robustesse des centrales, et notamment des équipements cruciaux comme les salles de contrôle, n’est pas garanti, selon l’IRSN.

FUITE D’URANIUM ET FISSURES

Outre ces risques potentiels, la centrale du Tricastin connaît régulièrement des anomalies plus ou moins sévères – comme en février 2012, lorsque le réacteur numéro 2 de la centrale a été arrêté après la découverte d’un dysfonctionnement sur une vanne.

En août dernier, c’est par la Belgique que l’on a pris connaissance de fissures sur des cuves de réacteurs. Bruxelles expliquait alors que c’est une note de l’ASN, en novembre 2010, sur les « défauts sous revêtement » (des fissures situées sous le revêtement interne en acier inoxydable) sur les cuves de dix réacteurs français qui l’avait poussé à enquêter sur ses propres centrales. La Belgique avait alors découvert, avec une certaine stupeur, 8 000 microfissures sur la cuve de la centrale de Doel, près d’Anvers. Cette note de l’ASN, passée relativement inaperçue à l’époque, recensait 33 fissures, dont plus de la moitié affectaient le réacteur numéro 1 de Tricastin.

Plus tôt, en septembre 2011, la Socatri, une filiale d’Areva, a été reconnue coupable de « déversement de substances toxiques dans les eaux souterraines ». Une nuit de juillet 2008, en effet, 74 kg d’uranium ont été rejetés dans l’environnement à la suite du débordement d’une cuve de l’usine de traitement des déchets du Tricastin, contaminant les rivières alentour. Des restrictions de consommation d’eau avaient touché plusieurs communes, des familles restant privées d’eau potable et des maraîchers déplorant la perte d’une partie de leurs récoltes.

En février 2011, un autre dysfonctionnement, classé au niveau 2 de gravité sur une échelle de 7, touche directement la centrale : EDF détecte une anomalie rendant potentiellement défectueux tous les groupes électrogènes de secours qui, en cas de perte d’alimentation électrique par le réseau national, permettent de faire fonctionner les systèmes de sûreté des réacteurs.

Autre incident : en 2009, une barre de combustible s’accroche à une structure lors de l’ouverture du cœur du réacteur numéro 2 et reste suspendue au-dessus de celui-ci. Un an plus tôt, ce sont deux crayons de combustible qui étaient eux-aussi restés accrochés aux structures supérieures de la cuve du réacteur, nécessitant une évacuation du bâtiment.

Dernier exemple : en juillet 2008, une centaine d’employés de la centrale sont légèrement contaminés par des éléments radioactifs lors d’une opération de maintenance dans l’enceinte d’un des quatre réacteurs. L’événement sera classé au niveau 0 de l’échelle des incidents nucléaires.

[Source : Le Monde.fr, 15/07/2013]

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