Réforme territoriale : aboutissement ou fin de la décentralisation ?
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La majorité précédente avait voulu la réforme des collectivités territoriales, le Premier Ministre veut clarifier l’organisation territoriale de la République. Un même diagnostic erroné et une même méthode : à l’abordage ! Le gouvernement affiche une volonté d’efficacité, de simplification et d’économie. Porte-t-il pour autant une vraie ambition décentralisatrice qui pourrait ré-enchanter la démocratie et réconcilier les citoyens avec leurs élus et plus largement avec la politique et le service public ?

– Par Claude Grivel et Olivier Dulucq,respectivement président délégué et administrateur de l’Unadel [Union nationale des acteurs et des structures du développement local]

 L’Unadel s’interroge sérieusement sur l’impact réel, au-delà des effets de communication, des regroupements de région, de la suppression du niveau d’organisation territoriale en charge de la solidarité et de la disparition des intercommunalités de moins de 10 000 habitants.

 Éloignement des décisions

Les citoyens n’en peuvent plus de voir les décisions s’éloigner, de constater que les élus ont de moins en moins de pouvoir et de marges de manœuvre, ils font de plus en plus confiance à la société civile (entreprises et surtout associations). Toutes les études et même les scrutins le montrent et démontrent.

On leur proposera donc d’éloigner les décisions au niveau de super intercommunalités, voire de métropoles, l’on supprimera les départements et on fera des super régions. On imposera de fait la RGPP au niveau régional et l’on dira clairement que ce débat de modernisation de l’action publique ne concerne définitivement que les seuls élus, nationaux et territoriaux.

Quand les électeurs se détournent des urnes, quand ils éparpillent leurs rares suffrages sur des candidats extrémistes, ce sont autant de signaux de doutes sur la pertinence du système, sur l’artificialité des débats dits politiques, qui ne sont que technocratiques.

Il y a une vraie crise du politique, qui n’est pas encore tout à fait une crise politique et les hauts fonctionnaires produisent des textes de loi, qui sont encore moins décentralisateurs que les précédents. L’on sent là un double mouvement :

  • il faut toujours faire faire les économies aux filiales plutôt qu’au siège ; après trente ans d’expériences,
  • il faut continuer à considérer les territoires de la République comme de simples filiales, taillables et corvéables à merci.

L’État continue d’asséner schémas, directives, contraintes et normes, par en haut, valables pour presque toutes les parcelles de la métropole, uniformément. Quand il s’agit de penser l’avenir et la complexité, l’État, de droite comme de gauche, révise son passé et la simplicité.

Certains parlent développement local, d’autres cherchent à importer l’empowerment, quelques-uns militent pour le « pouvoir d’agir » et font in fine le pari que les réformes les plus pertinentes se font par en bas, sur la base du volontariat et en associant les usagers et bénéficiaires. Pour mémoire, Michel Dinet, président fondateur de l’Unadel récemment décédé  signait cette définition du développement local :

« Porteurs d’un projet local global, les territoires qui ont une démarche de développement sont acteurs de l’aménagement du territoire. Urbains et ruraux, ils peuvent dégager des points d’entente et devenir partenaires. Leur approche fondamentale est de faire participer les habitants au projet, de son élaboration à sa mise en œuvre. Une façon aussi de redonner un sens à la citoyenneté. De cette manière, leur démarche, leurs savoir-faire et leurs expériences sont essentiels pour une nouvelle politique d’aménagement du territoire. »

 La fin de la décentralisation

Nous assistons aujourd’hui, impuissants, à une clarification qui ne dit pas son nom : la fin de la décentralisation. L’ambition d’un nouvel acte de décentralisation porté par le gouvernement Ayrault a échoué sous la pression des lobbys et particulièrement des associations d’élus aussi nombreuses que d’intérêts antagonistes qui confortent les conservatismes et renforcent les plus forts.

Le découpage du texte initial en trois volets a été contre-productif. Le souffle décentralisateur et la volonté de modernisation de l’action publique se sont dilués dans l’affirmation de métropoles, l’installation de conférences territoriales de l’action publique et dans la création de pôle ruraux confortant le clivage entre territoires urbains et territoires ruraux, là où il fallait renforcer les liens entre eux.

La réintroduction de la clause de compétence générale à toutes les échelles de collectivités avait un peu rassurés les acteurs de la culture et du secteur associatif sans supprimer leurs inquiétudes quant à la pérennité des moyens de financement et à la place de la société civile dans le débat public voire dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques.

L’Unadel, comme beaucoup de ses partenaires et de ses réseaux en région, attendait beaucoup que le second volet de la loi vienne corriger et combler les manques du 1er volet. Or ce qui est mis aujourd’hui à notre connaissance donne le sentiment qu’on va une nouvelle fois passer à côté de l’essentiel en développant des structures de plus en plus grosses, de plus en plus technocratiques, que ce soit au niveau des régions ou des intercommunalités, tout en déstabilisant l’organisation des services publics de proximité. En un mot là où il fallait rapprocher l’élu du citoyen et favorisant l’engagement de tous dans le bon fonctionnement de la vie de la cité en s’appuyant sur le vivre et le faire ensemble, on va à nouveau accentuer les distances, creuser les écarts entre les riches et les pauvres, segmenter la responsabilité publique et renforcer le sentiment d’abandon et d’incompréhension qui contribuent à renforcer l’abstention ou le vote de rejet plus que d’adhésion.

Parier avec les citoyens

Nous demeurons persuadés qu’il vaut mieux parier avec les citoyens, que de faire confiance aux seules réformes de structures et autres technostructures. Nous sommes « fiers des nombreux petits échecs du développement local par opposition aux grandes réussites nationales ». Il y a là quelque ironie, mais voir l’État impécunieux continuer d’expliquer aux autres ce qu’ils devraient faire, sans jamais se l’appliquer, laisse songeur. Oui, il faut clarifier, cela commence probablement par dire ce que l’État ne fait plus et de laisser la main aux élus locaux et à la société civile territoriale, à parité. Décentraliser c’est réformer l’État, en principe…

L’efficacité dans la précipitation peut conduire encore plus vite à l’échec, sans garantir la réduction des dépenses tout en ajoutant un risque supplémentaire : celui d’accentuer le délitement de notre société et la perte de toutes ses valeurs fondatrices et républicaines, l’autorité tuant la liberté, l’efficacité faisant reculer l’égalité entre les hommes et les territoires, la rationalité budgétaire mettant en péril la fraternité et l’organisation de la solidarité avec les plus pauvres et les plus en difficultés.