Plan pauvreté : TOUT et (en même temps) son CONTRAIRE
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Les principales orientations du «plan pauvreté » annoncé par le Président de la République semblent reposer sur un constat réaliste des causes de l’accroissement des inégalités : celles-ci sont structurelles et leur reproduction de génération en génération est au coeur du système néoliberal. Cependant le doute reste entier quant à la capacité du gouvernement à relever le défi de l’éradication de la grande pauvreté.

L’action de l’État doit sortir des politiques de « réparation » pour se mobiliser sur la prévention, seule capable d’éviter la reproduction intergénérationnelle des inégalités et le maintien dans la pauvreté. C’est pourquoi le plan pauvreté du gouvernement prend acte de l’inefficacité d’une redistribution « naturelle » des richesses pour résorber les inégalités, sociales et territoriales, qui ne cessent de s’aggraver depuis des années et oriente désormais son soutien sur « l’investissement social » cher aux démocraties sociales d’Europe du nord. Cher également, à ce qui fut, il y a 20 ans, le coeur du blairisme dit social, avec toutes les limites que furent à son déploiement les concessions massives accordées à la marche du monde des affaires : ancien monde quand tu nous tiens !

Le constat est on ne peut plus d’actualité : le taux de croissance de l’économie, n’a jamais garanti la résorption des inégalités sociales ; au sortir du second conflit mondial, la croissance générée par la reconstruction de pays dévastés a pu nourrir cette illusion par une amélioration globale du niveau de vie et l’émergence d’une classe dite moyenne. Depuis, alors que la croissance économique ne cesse de ralentir, l’illusion a volé en éclats.

Le ruissellement ? Ça ne coule plus de source !

– Pourtant certains maintiennent cette illusion, à commencer par ce gouvernement, selon lequel les inégalités se creusent car le gâteau à se partager se réduit ! L’insuffisance des taux de croissance ne permettrait plus une redistribution suffisante et juste : ce qui au passage, revient à faire peu de cas de la hausse exponentielle des profits et dividendes de la plupart des multinationales… qui échappent à la fiscalité française et n’alimentent pas le « gâteau » censé financer les politiques sociales de redistribution et de solidarité…

– pour d’autres, comme le gouvernement (?!), il n’est pas de réduction des inégalités sans les attaquer à la racine. La théorie de « l’investissement social » reprise par le président Macron relève de ce courant-là : une politique sociale « progressiste » – c’est-à-dire d’émancipation des personnes – ne doit plus se contenter de compenser les inégalités produites par le fonctionnement du marché, mais doit chercher à anticiper, à prévenir et à « armer » les personnes pour qu’elles s’adaptent aux conditions d’une société en mutation profonde; la priorité est ici clairement de l’ordre de l’émancipation des hommes et des femmes : on peut très clairement parler d’économie à visée sociale et solidaire. Traquer les inégalités et les injustices à la source, à commencer par les plus jeunes d’entre nous, afin de cibler les efforts sur la petite enfance, et notamment sur les familles les plus pauvres, dont les familles monoparentales, renforcer les dispositifs d’insertion à destination des jeunes adultes en difficultés afin d’en sortir un maximum de l’ornière et du non-recours aux droits, poursuivre les expérimentations positives telles que les territoires Zéro chômeur, toutes ces annonces du président constituent un cadrage pertinent.

Au final, ce pas de deux macronien s’accommode d’un double discours sur le ruissellement et en même temps sur l’investissement social. Derrière l’incohérence profonde se cache l’illusionnisme, la revendication « d’investissement social » cachant mal la réduction des aides sociales indispensables pour près de 8 millions de Français.… Réduction à l’oeuvre sur nos territoires depuis l’ASE jusqu’aux APL en passant par le RSA, l’allocation chômage, les aides à l’emploi, etc.

En effet, une politique d’investissement social ne s’accommode que très mal d’une politique économique qui creuse ou laisse encore se creuser les inégalités sociales et territoriales : or, la position macronienne ne peut renoncer aux soi-disant bienfaits d’une croissance inégalitaire qu’elle voit ruisseler du haut vers le bas de la société : ce qui signifie que le gouvernement pense une politique sociale à laquelle renoncent les prémisses de sa politique économique ; ce n’est pas la moindre des contradictions du macronisme. En quoi, une politique, aussi théoriquement inspirée soit-elle, est-elle crédible quand elle va à rebours des orientations gouvernementales générales ? Telle est la contradiction soulevée par Nicolas Hulot dans le domaine connexe de l’écologie : en quoi une politique des petits pas est-elle tenable quand, tout autour, il n’est question que de grands pas en arrière ?

Il n’est donc aucune raison objective à ce que la politique de lutte contre la pauvreté connaisse un sort différent de celui de l’écologie sous cette majorité nouvelle et notamment puisqu’elle refuse de s’attaquer à l’une des plus grandes injustices, celle de chaque citoyen devant l’impôt : l’évasion et la fraude fiscales qui sont le reflet le plus accablant de l’inégalité des Français devant la perception de l’impôt vident les caisses de l’État en principe redistributeur.

Au final, dans la contradiction qui est la sienne, le gouvernement fait coup double dans sa politique de réduction de la dépense publique : réduction des dépenses de réparation sous prétexte d’investissement social transféré aux collectivités elles-mêmes soumises au corset budgétaire du pacte de Cahors.

Aussi, par-delà la théorie, la facture de ce récent plan pauvreté nous inspire deux séries de remarques qui sont autant de doutes quant à sa portée réelle :

– une action sociale aussi différenciée et adaptée aux personnes ne sera efficacement mise en œuvre qu’à une échelle territoriale de proximité (à l’instar de ce qui devrait être mis en œuvre en vue de la transition écologique de nos territoires) : or loin des ambitions décentralisatrices affichées par le candidat Macron en 2017, le bilan de la première année du gouvernement accumule les signes de recentralisation et de restriction de l’autonomie financière, fiscale et finalement politique des collectivités locales.

– territorialisée, une telle politique sociale nécessite enfin des moyens supplémentaires et réels : or l’enveloppe de 8 milliards affichée pour ce plan pauvreté correspond pour l’essentiel à une opération de redéploiement de crédits déjà existants. Par la suite, si les incitations à multiplier les places de crèche et les opérations d’insertion peuvent être utiles, elles induiront nécessairement une hausse de dépenses de fonctionnement des collectivités locales, hausse que le gouvernement entend précisément leur interdire via sa politique dite de « contractualisation ».

Ensuite, la précision, l’expérimentation et l’évaluation nécessaires à la mise en œuvre d’une réelle ambition en matière de politique « d’investissement social » requièrent des moyens conséquents en termes de diagnostics précis et actualisés : une vaste campagne d’analyse des besoins sociaux territoire par territoire est une condition sine qua non de l’efficacité et de la réussite de toute politique de lutte contres les inégalités. Mais sans engagement ni allocation de nouveaux moyens, dans le contexte budgétaire actuel, au final, les territoires risquent de manquer d’outils pour mettre en œuvre des politiques sociales modernes et efficientes.

En conclusion, si la trame et le contenu de ce plan présentent de réels espoirs, il n’en recèle pas moins de vraies contradictions, contradictions qui sont celles de ce pouvoir lui-même. Face à l’urgence sociale, il faut plus que des espoirs ; il faut des actes.