OGM : ‘Angoisse’ et mauvaise foi
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Notre quotidien régional témoignait, il y a peu, de cet amour du débat qu’il nourrit à longueur de colonnes éditoriales, en publiant une note intitulée « L’angoisse du progrès ». L’auteur se proposait d’y pourfendre le combat de « l’écologie réactionnaire » contre les essais d’OGM en plein champ. Il y mêlait remarques assassines et assertions péremptoires, si ce n’est très peu fondées.

RUIZ

Cependant le vitriol est une essence qu’on ne saurait manipuler qu’avec doigté. Tout excès génère un effet miroir ; et l’excès de la dénonciation débouche fatalement sur l’excès dénoncé.

Face à « l’écologie réactionnaire, véritable handicap pour le progrès », l’auteur s’érige en grand inquisiteur de la « vraie recherche », pour ne pas dire de la vraie science. Sous entendant qu’il y en aurait une fausse, bardée des certitudes d’un autre temps, des croyances et superstitions léguées par « l’angoisse du progrès » et en proie à un « irrationnel manipulateur » ; manipulé d’ailleurs par de « pseudo-études de professeurs pseudo-rigoureux. » Pour ne pas dire de pseudo-professeurs.

Aussi lorsque la Vérité brille d’un tel éclat dans le ciel des idées, il n’est que volonté criminelle ou mauvaise foi pour ne pas se laisser convaincre et céder aux miraculeux attraits d’un progrès que, par pudeur sans doute, cet éditorialiste n’affuble pas d’un P majuscule.

La conclusion est un vibrant appel au toujours « véritable » débat (…). Mais que reste-t-il du débat, que reste-t-il de choix et de liberté quand la Vérité se fait si manifeste ? Que reste-t-il même du courage, cette vertu si nécessaire à la qualité du débat public, quand le Vrai rayonne d’une telle évidence ? L’auteur n’évoque-t-il d’ailleurs pas le « gène du courage politique » ? Mais qu’en est-il du courage s’il est génétiquement déterminé et ne doit défendre que des vérités préalablement établies ? Le courage ne se tient-il pas plutôt dans l’appréhension des limites que le doute et le risque confèrent au débat ?

Probable ; mais il faudrait alors reconnaître que toute vérité se construit sur le doute comme sur une complexité des choses que cette démarche inquisitoire réfute entièrement.

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Ce texte s’en prend encore à M. Séralini, professeur de biologie moléculaire, auteur d’une étude toxicologique sur un maïs transgénique qui fit grand bruit en 2012. On est en droit de s’interroger sur la nature de la lecture faite de ses travaux. A quelle vérité transcendante doit-on l’assertion selon laquelle « les pousses de soja meurtrières – utilisées dans l’expérience – étaient issues de l’agriculture biologique » ? Quand l’OGM employé ici était le NK 603 (principalement du maïs), un OGM conférant une tolérance au glyphosate, principe actif du Round Up, herbicide bien connu. Quel sens donner à l’emploi d’un argument si grossier ? Fait-on ici le pari d’une incompétence, celle de l’auteur ou de ses lecteurs ? S’agit-il encore de jeter l’opprobre sur des pratiques culturales biologiques tenues sans doute pour réactionnaires ? Si réactionnaires d’ailleurs, qu’elles cultivent des résistances végétales qu’une certaine science cherche à obtenir à grands renforts de transgenèse.

La richesse et la diversité des semences, des pratiques agricoles, des terroirs et de leurs combinaisons complexes relèveraient-elles de « l’obscurantisme écologiste » ? Qu’en est-il, enfin, de ces fameuses « possibles solutions face aux enjeux majeurs de notre époque » ? Marquée du sceau de la Vérité, si ce n’est du bon sens, la formule n’en est pas moins fumeuse.

Les OGM commercialisés aujourd’hui servent-ils à nourrir l’humanité ou à absorber le stock de produits phytosanitaires des grands groupes de la chimie qui s’en sont fait une spécialité ?

La crise alimentaire et agricole mondiale n’attend-elle qu’un sursaut de productivité pour se résorber ? Les OGM sont-ils d’ailleurs conçus pour accroître les rendements agricoles ? Le permettent-ils ?

Et finalement, en tant que biens communs, le vivant et l’alimentaire doivent-ils relever des marchés, de l’appropriation industrielle et privée ? De la seule logique du profit et du produire plus ?

Voilà autant de questions que cette note anodine aurait pu aborder afin de nourrir un débat dont l’auteur ne voulait manifestement pas. Il visait sans doute autre chose. Laissons cela à la sagacité de ses lecteurs.

L’un de ses illustres prédécesseurs écrivit un jour : « Sauf erreur, je ne me trompe jamais. »

Il est bien des manières de revenir aux sources sans verser dans la réaction.