Ni relance, ni austérité : quelle transition ?
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L’austérité confine à la déflation ; mais la relance ne relance rien. Reste une troisième voie, largement inexplorée : la transition écologique. Ni austérité, ni relance, la transition est l’exploration d’une porte étroite vers un autre modèle de société, un nouveau modèle d’économie mêlant innovation, ressources locales et solidarités. La transition, c’est d’abord trois approches nécessaires aux politiques publiques à développer dans les territoires.

– Partie 1

  • Une question de choix – A l’austérité, le programme de transition oppose la sobriété et l’efficacité. Ce tri dans les besoins entre les besoins fondamentaux et les besoins superflus, et cette chasse au gaspillage, permettent de dégager des ressources nouvelles en matière d’investissement, ressources qui vont non pas servir à une relance aveugle mais à un amorçage de la transition.

    L‘idée centrale est ici qu’un nouveau cycle économique ne dépend pas d’une accumulation de capital mais d’une réduction des consommations ; la transition c’est donc aussi échapper à l’impasse d’un endettement et d’un besoin d’investissement importants qui est le pendant de l’impasse austérité / relance.

Exemple : les Clermontois (un Français dépense en moyenne plus de 3 000 euros par an en énergie) dépensent chaque année en moyenne 450 millions d’euros en gaz, essence et électricité. Une réduction d’un tiers de ces dépenses énergétiques dégagerait 150 millions d’euros. Mobilisables pour une campagne de rénovation thermique du parc résidentiel clermontois. Il s’agit alors de trouver les moyens de monétiser les économies d’énergie.

Découpler l’investissement d’une problématique d’endettement, c’est aussi, à terme, initier un nouveau rapport à la monnaie, au crédit et à la création monétaire.

  • Une question d’échelle – La transition, c’est aussi agir à la bonne échelle, à celle d’un territoire ou bassin de vie.

Dans cette perspective-là, le territoire devient un instrument de reconquête face à la mondialisation. Face aux économies d’échelle et donc à la croissance, réalisées par le gigantisme hors-sol des marchés mondiaux et des conglomérats industriels, l’alternative est à la relocalisation des activités. La transition économique aboutit donc à un changement de perspective : on passe d’une économie et d’une croissance linéaires, à une économie et un développement circulaires, centrés sur le territoire. A la croissance (en principe, sans fin) de la production, on substitue le développement (lui-même sans fin) d’un écosystème productif local.

L’économie mondialisée actuelle vise la performance de la chaîne de production, c’est -à-dire la croissance constante des volumes de production et des bénéfices.

L’économie relocalisée vise quant à elle la durabilité (résilience) d’une chaîne de production utile et donc un volume de production stable via la multiplication constante de boucles de production locales. Ces boucles assurent les approvisionnements en matières premières, en biomatériaux, en ressources renouvelables et locales ; ou bien la distribution, la durée de vie des produits, la réparation, la gestion des déchets, de leur recyclage. Puis les approvisionnements des filières d’approvisionnements etc.

En lieu et place de la croissance des produits et des bénéfices, on assiste à la croissance d’activités durables sous une contrainte de ressources (limitées).

Se dessine alors localement un schéma d’économie complexe, sorte d’écosystème productif aux activités multiples et interdépendantes, créatrice d’évolution, de dynamisme et d’emplois.

Entre l’économie actuelle et l’économie post transition, la différence est la même qu’entre un champ de soja OGM destiné à l’exportation et la forêt primaire qui lui préexistait : le premier est une monoculture biologiquement pauvre exclusivement voué à la maximisation de la production agricole, au détriment de l’environnement, de la qualité et finalement d’une production qui finit par porter atteinte à ce qui la rend possible, à savoir la nature environnante. Il dépend d’intrants apportés de l’extérieur comme de sa capacité à être exporté et vendu pour « produire » une valeur marchande.

Le second est un écosystème extrêmement complexe, dense et autosuffisant. Il produit plus de biomasse que la même surface de soja OGM n’en produira jamais. Mais ne se prête pas à l’exploitation (ou pillage) massive et industrielle de ses ressources, pour cause de densité (difficultés d’exploitation et de mécanisation quand on n’est pas en monoculture) et de durabilité (l’exploitation de l’un des éléments de l’écosystème porte atteinte à un équilibre extrêmement fragile). Il ne produit pas de valeur marchande ; il est sa propre valeur, sa propre capacité à se développer et se maintenir dans le temps.

  • Une question de design – La transition c’est donc enfin la mise en œuvre d’un bon ‘design’ productif, solidaire et dynamique sur un territoire.

Cette notion reprend l’idée centrale de design (ou organisation) de la permaculture, dont l’objectif est de produire des biens, de façon durable et intense, avec un minimum d’énergie et de ressources.

Appliquée à l’agriculture, la permaculture a pour vocation de créer un système renouvelable qui ne dépend que d’une quantité minimale d’énergie. L’agriculture traditionnelle pré-industrielle était intensive en termes de travail, l’agriculture industrielle est intensive en termes d’énergies fossiles, et la permaculture agricole est intensive en design et information.

A l’échelle locale de nos territoires, la mise en œuvre d’un tel design pourrait passer par la création de comités ou d’agences de transition en charge de quelques missions structurantes :

  • rassembler les acteurs économiques et sociaux du bassin, s’appuyer sur un vrai dialogue social de proximité (encadré par la loi, mais adaptable à l’échelle locale ou régionale ; les écologistes parlent de ‘fédéralisme différencié’)

  • identifier, préserver et donner accès aux ressources locales (là encore, une charte des biens communs, loi sur les biens communs, ou les communs est nécessaire, pour en garantir l’accès et l’usage communs, pour assurer la péréquation entre territoires inégalement dotés)

  • créer une plate-forme d’innovation et d’investissement pour épaissir l’écosystème productif local (multiplier ce que l’on appelle les ‘clusters ou grappes d’entreprises, tout en intensifiant encore les liens internes à chaque grappe) : expérimenter la relocalisation de l’épargne, de développement du capital-risque citoyen, d’instruments monétaires complémentaires (pour l’échange mais aussi le crédit)

  • multiplier les liens entre les acteurs locaux, des filières et des dynamiques locales : expérimenter les techniques d’écologie industrielle, d’économie circulaire et d’éco-conception.

Bien évidemment, si le champ d’intervention reste local et/ou régional, les acteurs locaux auront besoin de voir leur liberté de mouvement et d’initiative augmentée : des mesures, des réglementations et des outils seront nécessaires au niveau national pour amorcer la transition dans les territoires. A commencer par la :

  • Fiscalité écologique : transférer les charges sociales de l’emploi vers les atteintes à l’environnement et aux ressources naturelles, limitées.

  • la tarification progressive de l’emploi des ressources, qui est un formidable levier de développement pour cette économie de transition en cela qu’elle rompt la loi des économies d’échelle, et donc de la course à la quantité, à la concentration et à l’accumulation des ressources.

  • Redistribution du pouvoir qui signifie réforme territoriale pensée dans l’optique de libérer les initiatives locales aux échelles les plus pertinentes.