Les Français sont-ils sortis de l’hyperconsommation ?
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Les Français sont-ils prêts pour l’économie circulaire ? C’est la question à laquelle a tenté de répondre l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), dans une étude commandée au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) et publiée mardi 17 juin à l’occasion du lancement des premières assises de l’économie circulaire à Paris.

Ce rapport, qui compile et analyse une cinquantaine d’enquêtes menées auprès de la population au cours des vingt-cinq dernières années, montre une prise de conscience écologique des consommateurs et une évolution de leur comportement. Au lieu d’extraire toujours plus de ressources (dont on sait qu’elles sont finies) pour consommer davantage, dans une logique linéaire, une partie d’entre eux a basculé vers une logique plus circulaire, qui vise à consommer mieux, en augmentant l’efficacité de l’utilisation des ressources et en diminuant l’impact sur l’environnement. 

DE PLUS EN PLUS DE TRI ET DE LIMITATION DES DÉCHETS

Cette évolution est particulièrement visible dans le domaine de déchets, dont la quantité est en baisse depuis le début des années 2000. Selon un Eurobaromètre de la Commission européenne réalisé en 2011, 82 % des Français déclarent trier la plupart de leurs déchets pour le recyclage, contre 66 % des Européens. Dans le détail, 71 % d’entre eux affirment trier systématiquement les piles (la proportion n’était que de 30 % en 1998), 69 % les papiers journaux (contre 37 % en 1998), et 76 % le verre (contre 65 %).

Au-delà du tri, les Français limitent également la quantité d’emballages en amont. Entre 2003 et 2010, la proportion de personnes qui déclarent être attentives à la quantité de résidus que leur achat occasionnera est devenue majoritaire, passant de 41 % à 52 %, selon une étude du Crédoc pour l’Ademe parue en 2010.

Conséquence : la production de déchets par habitant a diminué ces dernières années : après avoir doublé entre le début des années 1960 et 2002 (passant d’environ 175 kg par habitant à 359 kg), elle est depuis en baisse, avec 290 kg en 2011.

OCCASION, RÉPARATION, DON

Allonger la durée de vie des produits est une autre illustration de l’économie circulaire. Il y a différentes façons de le faire : en les entretenant, en les faisant réparer, en les donnant ou en les prêtant plutôt que de les jeter. Par exemple, 54 % des Français font réparer leurs appareils électroménagers, hi-fi et vidéo plutôt que d’en acheter de nouveaux, 88 % d’entre eux ont déjà fait un don de vêtements ou de chaussures à une association, 75 % ont acheté des produits d’occasion en 2012, contre 59 % en 2004 et 25 % ont eu recours au covoiturage, dont 10 % régulièrement en 2013. De plus en plus, avec le développement de la consommation collaborative, l’usage se substitue à la propriété, la fonction à l’objet.

Les sites qui assurent ces échanges horizontaux sont légion : l’incontournable Leboncoin (deuxième site le plus fréquenté, en temps passé, dans l’Hexagone après Facebook), mais aussi Zilok, E-loue, Videdressing, La Ruche qui dit oui !, BlaBlaCar, Airbnb ou Couchsurfing.

Reste que l’obsolescence programmée — c’est-à-dire le fait que les fabricants conçoivent délibérément des produits qui s’usent ou tombent en panne rapidement afin d’obliger les consommateurs à renouveler constamment leur stock — existe toujours bel et bien et se révèle même souvent devancée par les consommateurs eux-mêmes, qui n’attendent pas la fin de vie de leurs équipements pour en changer.

Lire l’enquête : En France, la consommation a de l’avenir

MODES DE VIE PLUS SOBRES

Enfin, certains modes de vie tendent à changer vers une plus grande sobriété en ressources. Depuis 2003 par exemple, la consommation d’eau par les ménages a légèrement baissé (– 3 %, alors que dans le même temps la population progressait de + 7 %), après avoir augmenté régulièrement depuis les années 1950. 

Le souci de réduire la consommation d’énergie dans le logement est également très présent : 81 % des ménages cherchent à diminuer leur consommation ; ce qui se traduit par des « petits gestes », comme le fait d’éteindre davantage les lumières, d’utiliser des ampoules à économie d’énergie ou de baisser le chauffage dans les pièces inoccupées.

LEVIER ÉCONOMIQUE

Si recréer du lien social, contourner les systèmes marchands ordinaires, soutenir l’économie locale ou faire un geste pour la planète font partie des motivations de ces nouveaux « consommacteurs » que les services marketing cherchent à apprivoiser, leurs principales motivations se révèlent être la recherche d’économies et la volonté de maintenir leur pouvoir d’achat dans un contexte de contraintes budgétaires dues à la crise. 

« Le levier économique reste majeur, mais il conduit néanmoins à des pratiques plus vertueuses, note la sociologue Solange Martin, qui a piloté l’étude pour l’Ademe. On se situe en fin de phase de l’hyperconsommation : elle est passée de mode et est même devenue culpabilisante. Il faut maintenant davantage accompagner les consommateurs pour les faire définitivement changer de comportement. » Cela peut passer par des incitations publiques aux achats vertueux ou par des initiatives mises en place par les collectivités locales ou les entreprises.

« Dans une vision pessimiste de cet état des lieux, on pourrait se dire qu’une amélioration générale du pouvoir d’achat des Français remettrait en cause l’économie circulaire, conclut l’étude. Ce n’est pas certain car, une fois que l’on a pris l’habitude de faire des économies, il n’y a pas de raison pour que l’on gère moins bien son budget si la conjoncture s’améliore : plutôt qu’un “effet rebond” [le fait que les économies réalisées augmentent la consommation], on pourrait imaginer un “effet cliquet” [le phénomène qui empêche le retour en arrière d’un processus une fois un certain stade dépassé]. »

Le Monde.fr | 17.06.2014