L’énergie au coeur de la sortie de crise
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Alors que la loi sur la transition énergétique arrive aujourd’hui devant les députés, certains aspects de la transition énergétique font les gros titres de la presse. La loi attendue est censée être la « plus importante » du quinquennat. Mais de quoi parle-t-on au juste ? Cette transition n’est-elle qu’une formule médiatique ressassée à l’envi, un effet de mode ou une nécessité ?

Pour les écologistes, elle constitue l’une des réponses essentielles à la crise majeure – systémique, dit-on par ailleurs – dans laquelle nous sommes entrés à l’automne 2008. Explications via ce dossier que nous lançons aujourd’hui.

L’usage très quotidien du mot énergie empêche bien souvent de se poser la question des réalités qu’il recouvre. L’énergie est initialement une grandeur physique caractérisant le changement d’état d’un système, sa transformation. L’énergie sert donc essentiellement à la modification de notre environnement.

 

Énergie et économie

 

Or l’économie – un « processus de destruction créatrice » selon l’économiste Joseph Schumpeter – n’est rien d’autre que de la transformation – extraction, production, transport, consommation – à large échelle de ressources naturelles en produits intermédiaires ou finis (du sable en verre, du minerai en voitures, ustensiles etc., des fibres naturelles ou du pétrole en vêtements, etc). Nos systèmes économiques, primitifs ou modernes, correspondent donc à des systèmes plus ou moins complexes de flux d’énergie (et de matière, l’un n’allant pas sans l’autre).

 

Aussi, l’ampleur, la complexité et le développement (la croissance) d’une économie dépend-il de la quantité d’énergie disponible pour cette même économie [ainsi que de l’efficacité énergétique de cette économie, c’est-à-dire la quantité d’énergie nécessaire pour produire un travail donné. Mais dans un système, comme le nôtre, où l’énergie est disponible en grande quantité et reste relativement peu onéreuse, on s’aperçoit que l’efficacité globale évolue peu : 0,8% de croissance par an sur les 40 dernières années. Elle n’évolue qu’à la marge et sur des quantités sans cesse croissantes d’énergie, ce qui en rend l’amélioration insignifiante : ainsi, entre un paysan africain qui n’emploie que sa force physique, soit 1kWh par jour pour gagner l’équivalent de 1 dollar, et un Américain qui gagne 25 000 dollars / an pour une consommation énergétique de 25 000 kWh/ an, l’efficience énergétique est exactement la même. La différence se tient donc dans la seule quantité d’énergie utilisée à l’année.]

On peut ainsi corréler le revenu économique disponible par personne (PIB / personne) à la quantité d’énergie disponible, comme l’indiquent les graphiques ci-dessous.

Corrélation énergie PIB

GDP Ener

[Source : Jean-Marc Jancovici – Quelques réflexions sur la transition énergétique]

Or les conséquences d’une telle corrélation entre énergie et économie / croissance sont absolument déterminantes.

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Si la croissance de l’activité économique dépend étroitement de la quantité d’énergie dont dispose une économie, qu’advient-il si cette quantité d’énergie disponible n’est plus elle-même en mesure de croître ? Les conditions d’une crise majeure du mode de développement se mettent en place. Précisions.

On s’aperçoit [voir le grahique ci-dessous] que si la quantité d’énergie disponible par personne a cru de près de 3% par an entre 1890 et 1980, cette quantité a atteint un plateau depuis le deuxième choc pétrolier, et ce, notamment pour les pays les plus développés (la légère reprise des années 2000 étant due au décollage de pays émergents tels que la Chine, avec une utilisation massive du charbon notamment). On note également que l’explosion de la quantité d’énergie disponible entre 1940 et 1980 correspond principalement à l’explosion de l’offre de pétrole comme à la période économique faste dite des « Trente Glorieuses ».

Q ener

[Source : Jean-Marc Jancovici – Quelques réflexions sur la transition énergétique]

Les raisons de cette stagnation depuis les années 1980 sont multiples : 

  • la croissance de la population mondiale,
  • la globalisation et l’émergence « économique » [et donc énergétique] de nouveaux pays
  • l’utilisation d’énergies de stocks, et donc finies (les hydrocarbures).

Au final, cette stagnation de la quantité d’énergie disponible par personne correspond à la fin d’un monde où l’abondance énergétique était réservée à une minorité de la population mondiale (celle des pays industrialisés).

Attendre la croissance ou changer de modèle ?

Or si la croissance du revenu par personne (PIB/personne) dépend de la quantité d’énergie disponible et que celle-ci stagne, le maintien du niveau de vie dans les pays développés dépendra des systèmes de redistribution créés par ces pays avant les années 1970. Et lorsqu’un système redistribue des revenus qu’il ne produit plus, il est obligé de vivre à crédit : il s’endette, génère des bulles financières qu’il entretient jusqu’à l’éclatement, à la crise puis procède à un réajustement socialement brutal et injuste sous forme de cures d’austérité drastiques : un enchaînement fatal dont nous n’arrivons plus à sortir depuis 2008.

Dans le même temps, cette même stagnation des quantités d’énergie disponible par habitant rend problématique une sortie de crise par la croissance de ces mêmes quantités d’énergie et donc par un surplus de croissance économique.

La seule alternative à la crise s’impose donc comme celle de la transition vers un autre système énergétique. La question de la transition énergétique est donc posée. Reste à voir les réponses apportées.