La route : charge ou investissement ?
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Serait-ce l’appel du large ou celui des élections ? Mystère. Toujours est-il que les débats routiers et autoroutiers régionaux ont repris de plus belle depuis quelques semaines.

Reprise progressive et annoncée des travaux du Contournement Sud-Ouest de l’agglomération vichyssoise. Vague d’émois et d’émotion à Clermont-Ferrand autour de l’hypothétique mise en péage d’une portion d’autoroute au sud de Clermont-Ferrand…

Mais chose étrange parmi d’autres, le débat ne porte jamais que sur les modalités de financement de ces travaux. Jamais sur leurs coûts, de plus en plus volumineux :

  • PPP (Partenariat Public Privé) choisi par le Conseil général (PCF, sic) de l’Allier sur le contournement Sud-Ouest de Vichy = 80 millions d’euros (60 Millions + le retard dû à un dossier Loi sur l’Eau bâclé par le même Conseil général)
  • DSP (Délégation de Service Public) pour APRR sur l’autoroute Gannat – Vichy (A 719) = 100 millions d’euros
  • DSP sur l’élargissement à 2X3 voies de la jonction A 71 – A 75 = 78 millions d’euros.

Les deniers publics se font rares, le recours au privé se généralise.

On s’indigne et s’interroge fort légitimement sur les modalités de paiement et notamment sur le risque de privatisation et de captation des ressources des citoyens et travailleurs. On ne se pose pourtant jamais la question de ce qui rend ce risque possible, à savoir le montant sans cesse croissant des dépenses liées à la route. Bref, on interroge les conséquences sans réfléchir aux causes.

Adoration routière

Cela ne devrait d’ailleurs plus nous surprendre tant l’ensemble de ces dépenses est systématiquement associé à des investissements d’avenir pour le désenclavement, la compétitivité et la croissance du territoire. Il n’est aucune raison objective de remettre en cause le dogme du tout-routier censé procurer bien-être et prospérité à nos concitoyens…

Et les dogmes ont la peau dure, même frappés de vices définitifs.

1- Le mythe du bien-être routier s’effondre quand on prend conscience de la somme de mal-être effarant présidant à la réalisation de tels travaux : mortalité sur la RCEA [Route Centre Europe Atlantique traversant l’Allier ; mortalité 5 fois plus élevée que sur le reste du réseau], engorgement des villes de l’agglomération vichyssoise, embouteillages sur l’A71… La route coûte… en vies humaines, dégradations et pollutions de toutes sortes. Pour tout un chacun, pour le public comme pour le privé. Et ironie du sort, ce sont ces mêmes coûts dramatiques qui créent une demande, un marché et des opportunités d’investissement pour des capitaux privés : ou le mal-être crée une croissance générant elle-même du mal-être et donc de nouveaux horizons de croissance…

Pourquoi accepte-t-on une telle situation ? A cause de l’autre versant du mythe routier : celui de la prospérité apportée par la route.

2- La prospérité routière ne résiste pas plus à l’examen que le précédent : la route était effectivement un investissement quand elle permettait de parachever le marché intérieur, de le décloisonner et de désenclaver des territoires afin de les ouvrir au commerce et à la croissance. Ce schéma était efficient pour un coût de l’énergie, et donc de l’accès au territoire, négligeable, quand le baril de pétrole valait 1$. Quand il en vaut 100, les charges de transport ne sont plus indifférentes et l’on préfère, par exemple, produire de la poudre de lait en Bretagne pour l’exporter en Chine, plutôt qu’à Saint-Yorre. Et ce, malgré l’arrivée de l’autoroute à Vichy !!!

***

Cependant, si la route n’est plus un investissement économique déterminant, cette image de la route compétitive est rémanente chez la plupart des élus locaux.

Et l’on continue de prendre les infrastructures de « désengorgement automobile » pour des investissements d’avenir quand il ne s’agit que de charges :

a- charges environnementales, pour toutes les nuisances et pollutions occasionnées : pollution de l’air / Atteintes à la biodiversité / destruction de foncier / Risques d’inondations… Autant de « nuisances » dont on commence aujourd’hui à mesurer le véritable coût économique (Bretagne, Grande-Bretagne, États-Unis…)

b- charges financières :

– pesant sur la compétitivité nationale (l’Allemagne peut s’enorgueillir de la compétitivité-prix de son industrie ; elle n’a honoré ni les charges liées à la démographie et donc au logement français, ni celles liées à ses infrastructures routières, aujourd’hui très dégradées : de quoi lézarder quelque peu le mythe du miracle Schröder)

– pesant sur nos marges d’investissement productif et d’avenir.

Il est plutôt bien vu d’accuser les charges pesant sur le travail, aujourd’hui. Bien moins celle pesant sur les territoires condamnés à se faire les déversoirs d’une industrie automobile qui produit plus de six voitures par seconde dans le monde entier.

Deux questions se posent aujourd’hui par rapport à ces charges induites par le secteur routier :

1- Pourquoi paie-t-on ?

2- Qui paie ?

2- La seconde est assurément la plus urgente – économiquement et électoralement parlant. Elle est la plus tentante. Pourtant, à bien y réfléchir, qu’il s’agisse du public ou du privé, ces charges pèseront toujours autant sur la collectivité et sur les possibilités d’investissement pour l’avenir et les générations futures. Elle n’aborde surtout jamais la question des charges environnementales.

1- La première, par contre, induit une série de questions :

Pourquoi paie-t-on ? Pour payer toujours plus, plus tard ; accroître les charges environnementales et payer encore plus à terme.

Et surtout combien paie-t-on ? Mesure-t-on bien la somme des coûts auxquels nous consentons ?

Et finalement pourquoi (pour quoi) devrait-on payer ? Pour un système de transition qui viserait la réduction de l’ensemble de ces charges, financières et environnementales, qui séparerait le bon grain (investissements) de l’ivraie (charges excessives) en renchérissant celles-ci et en allégeant ceux-là ; en finançant des investissements durables via la taxation des dépenses et pollutions.

Et cela porte un nom : la fiscalité écologique. Avec, une fois le principe acquis, une question essentielle : qui paiera ?