La loi Duflot à bon dos
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Les chiffres sont clairs : l’évolution du marché tient davantage à la conjoncture morose qu’aux mesures de l’ex-ministre dans le viseur des professionnels. Explications chiffrées de Tonino Serafini dans le journal Libération.

Si le marché de l’immobilier bat de l’aile, si les chiffres de la construction sont à la baisse, si les ménages rament pour se loger, il n’y a qu’une explication : «C’est la faute à la loi Duflot.» Cette idée développée par les milieux de l’immobilier, avec le renfort de cabinets spécialisés en stratégie de la communication, traverse désormais le débat public et fait la une des journaux. Elle est relayée au sein même de la majorité par des députés tels que Christophe Caresche. Pourtant, cette mise en cause sans nuance de l’ex-ministre écologiste du Logement ne résiste pas à une analyse fine des statistiques publiées par les notaires et par l’Insee.

L’examen des chiffres sur une longue période montre que l’évolution de la situation de l’immobilier et de la construction est plutôt liée à la conjoncture économique globale : quand la croissance marque le pas, l’activité dans le secteur du logement ralentit aussi. Ce constat, qui vaut également dans d’autres pays, est renforcé par des spécificités bien françaises : depuis 1997, les prix des logements ont presque triplé dans de nombreuses grandes villes (un quasi record en Europe), ce qui a écarté du marché les acquéreurs aux revenus modestes et moyens. Outre la conjoncture, les mauvais chiffres de la construction sont liés au manque de terrains à bâtir et aux politiques restrictives d’urbanisation des élus locaux.

Comment l’immobilier a-t-il évolué ces dernières années ?

Pendant dix ans, entre 1997 et 2007, les professionnels du secteur se sont régalés : les commissions des agents immobiliers, tout comme les émoluments des notaires, ont augmenté au rythme des prix de la pierre qui flambait de plus de 10% par an. Il se vendait à l’époque autour de 800 000 logements par an au niveau national, dont plus de 160 000 en Ile-de-France. Pour acheter à tout prix, pour suivre l’inflation immobilière, les ménages se sont endettés plus lourdement et plus longtemps. La durée moyenne des prêts atteint désormais près de vingt ans, selon une étude de Century 21. Les jeunes ménages font souvent des emprunts d’une durée de vingt-cinq ou trente ans.

En euros constants, le prix du mètre carré à Paris est passé de 2 840 euros en 1997 à 8 140 euros en 2013. L’évolution a été analogue dans des départements populaires tels que la Seine-Saint-Denis, où la pierre (toujours en euros constants) est passé de 1 230 euros/m² en 1996 à 3 200 euros en 2013.

En dépit d’un recours accru à l’endettement, les ménages ont fini par s’épuiser dans cette course à la hausse des prix. En 2008, le marché a commencé à flancher, bien avant le coup de grâce de la crise des subprimes. En 2009, le nombre de logements vendus a plongé à 119 210 en Ile-de-France (contre 163 000 en 2007) et à 594 000 au plan national (contre 810 000 en 2007). Depuis, le marché s’est un peu repris : en 2013, alors que la loi Duflot était déjà au Parlement, le nombre de ventes s’est établi à 723 000 au plan national et à 133 800 en Ile-de-France. Pour 2014, sauf augmentation soudaine des taux d’intérêt, la plupart des réseaux prévoient un marché stable, avec un chiffre de l’ordre de 700 000 transactions.

Pourquoi la construction baisse-t-elle ?

Le nombre de logements autorisés en 2013 s’est établi à 381 609, contre 457 566 en 2011. La chute est donc réelle. Mais il convient de rappeler que la baisse avait été tout aussi importante en 2008, avec 385 484 logements autorisés, et encore plus sévère en 2009, avec 329 790 logements, une année noire marquée par la récession suivant la crise des subprimes. En 2010-2011, les chiffres de la construction sont repartis à la hausse, avant que la croissance ne marque à nouveau le pas en 2012 et 2013.

Ces statistiques montrent à quel point l’activité des promoteurs est conditionnée par la conjoncture économique nationale. Concernant la construction sur 2013 et 2014, s’ajoute une considération d’ordre politique liée aux municipales, et non à la loi Duflot comme le prétendent les milieux de l’immobilier : à l’approche des élections, de nombreux élus locaux ont levé le pied sur les programmes immobiliers dans leur commune, en raison de l’hostilité qu’ils suscitent chez les riverains qui sont aussi des électeurs. Certains candidats se sont même fait élire en promettant d’annuler certains programmes déjà validés.

Pourquoi les milieux de l’immobilier accablent-ils la loi Duflot ?

Les professionnels du secteur ont dépensé des fortunes en communication pour accréditer l’idée que la loi Duflot est responsable de tout. Ils ont aussi su cibler des relais tels que Christophe Caresche : bien qu’élu à Paris où les prix dans le privé sont devenus insoutenables, ce dernier ne cesse de dégommer, sous couvert de périphrases, l’encadrement des loyers. Le secteur de l’immobilier veut la suppression de ce point et se sert de la loi Duflot comme d’un épouvantail pour obtenir du gouvernement des mesures fiscales en leur faveur.

Tonino SERAFINI
Source : Libération, le 28/08/2014