Gare au prochain tsunami financier
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Officiellement, il y a eu 40 000 chômeurs supplémentaires en France en avril. Mais le ministère indique qu’en un mois, il y a eu 534 000 nouveaux inscrits à Pôle emploi. Si le chômage augmente de 40 000 personnes « seulement » c’est que, dans le même temps, 494 000 personnes quittaient les fichiers de Pôle Emploi. « Presque la moitié ont repris un emploi », indique le ministère. On en conclut qu’une moitié n’en a pas retrouvé : certains sont en stage, d’autres ont des problèmes administratifs mais, chaque mois, 80 000 ou 100 000 personnes arrivent en fin de droit.

Dans le sud de l’Europe, c’est pire encore : en Italie, le chômage touche près de 3 millions d’adultes, mais il y a trois millions de « découragés » qui ont abandonné leur recherche d’emploi. En Espagne, il y a 6 200 000 chômeurs – et combien de pauvres ?

La situation est-elle meilleure dans le reste du monde ? Aux Etats-Unis, malgré des déficits colossaux, le taux d’activité est tombé à son plus bas niveau historique : 63,3 %. Les chiffres du chômage sont stables mais, en un mois, 495 000 chômeurs ont renoncé à chercher un emploi et sont sortis des statistiques. Même avec des politiques budgétaires et monétaires ultra-accommodantes, les Etats-Unis n’arrivent pas à sortir du chômage. En mai, l’activité industrielle a commencé à reculer.

Au Japon, le gouverneur de la banque centrale a démissionné il y a trois mois, refusant de cautionner plus longtemps une politique qui, en vingt ans, a poussé la dette publique à 230 % du PIB. Le 30 mai, le FMI a publiquement averti que, en poussant son déficit public à 9,8 % du PIB, le Japon prenait des « risques considérables ».

Les deux moteurs de la croissance chinoise ont calé en même temps : les ventes de logements ont baissé de 25 % en un an et les exportations vers l’Europe ont reculé de 9,8 %. Officiellement, la Chine ne traverse qu’un « petit ralentissement », mais si l’on observe la consommation d’électricité (indicateur plus difficile à enjoliver que le PIB), la Chine est plus proche de la récession que d’une croissance de 6 %. En mai, l’activité industrielle a reculé : il ne s’agit pas d’un ralentissement dans la croissance, mais bien d’un recul.

En Chine, la bulle est plus grosse qu’elle ne l’était en Espagne. Et son explosion risque d’avoir des conséquences sociales nettement plus graves, car il n’y a pas de couverture sociale pour les chômeurs, ni de solidarité familiale pour des millions d’hommes déracinés.

C’est dans ce contexte que s’ouvre en France la Conférence sociale des 20 et 21 juin. Elle doit lancer un nouveau cycle de négociation sur l’emploi. L’un des hauts fonctionnaires de la direction du Trésor, chargé de préparer une « note de cadrage » pour cette conférence, affirmait récemment que la France est retombée dans une « petite récession ». Du point de vue comptable, et si l’on pense que la France est seule au monde, il a raison. Mais peut-on en rester au point de vue comptable ? Non ! Cela n’est pas une « petite récession ». Une banale récession comme nous en avons déjà connu quatre en quarante ans. Comme celle de 1929, cette crise peut conduire à la barbarie : guerre aux frontières de la Chine, guerres pour l’eau ou pour l’énergie, émeutes urbaines et montée de l’extrême droite en Europe… Si nous continuons à laisser pourrir la situation, tout cela peut, en quelques années, finir dans un fracas terrifiant.

Qui donc est l’homme pour accepter que des millions d’hommes et de femmes vivent dans la plus grande pauvreté alors que, globalement, nous n’avons jamais été aussi riches ? Qui sommes-nous, femmes et hommes, pour être incapables de garder la maîtrise de notre avenir, ballottés comme des fétus de paille, d’une crise à l’autre ?

Crise sociale, crise financière, crise climatique, crise démocratique, crise du sens… dans tous ces domaines, nous sommes proches d’un point de non-retour. L’humanité risque une sortie de route. C’est l’ensemble de notre modèle de développement qu’il faut changer, de toute urgence.

Pour éviter qu’un tsunami sur les marchés financiers ait un impact direct sur l’économie réelle, pour lutter radicalement contre la spéculation et contre les risques liés au surendettement des États, la France doit demander que soit organisé au plus vite un nouveau Bretton Woods.

Pour sortir l’Europe de l’austérité et de la récession, il faut mettre fin aux privilèges incroyables des banques privées dans le financement de la dette publique et financer à 1 % la vieille dette publique, lutter contre les paradis fiscaux et négocier la création d’un impôt européen sur les dividendes. Si l’on fait cela, nous pourrons retrouver l’équilibre des finances publiques sans austérité.

Il faut aussi agir avec force contre le chômage et la précarité en fixant à la négociation sociale qui débute les 20 et 21 juin un objectif ambitieux : aux Pays-Bas et au Danemark, les partenaires sociaux ont été capables d’élaborer en quelques semaines un nouveau contrat social assurant un meilleur partage des gains de productivité, qui a permis de diviser par 2 le chômage tout en restaurant l’équilibre de la balance commerciale. Pourquoi n’en serions-nous pas capables nous aussi ?

Petite récession ou crise de civilisation ? La réponse est évidente. Politiques et partenaires sociaux doivent absolument se laisser bousculer par la crise. Personne ne leur en voudra de tenir un discours de vérité. Au contraire ! « L’immobilisme et la pusillanimité sont toujours plus dangereux que l’audace, écrivait Pierre Mendès France. Les problèmes sont si difficiles et d’une si grande ampleur, la résistance des égoïsmes est si forte, que c’est avant tout de l’audace qu’il nous faut aujourd’hui. De l’audace intellectuelle et politique, plus rare de nos jours hélas ! que le courage physique. » Dire la vérité et décider de construire, tous ensemble, un nouveau contrat social adapté aux contraintes et aux désirs de ce temps est sans doute la meilleure façon de renforcer la cohésion et la résilience de notre société.

Michel Rocard et Pierre Larrouturou ont publié ensemble : La gauche n’a plus droit à l’erreur (Flammarion, 300 pages, 19 euros)

Michel Rocard (ancien premier ministre ) et Pierre Larrouturou (économiste)