Énergie : la transition dont ils ne veulent pas
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La tribune de Bruno Rebelle parue dans Le Monde du 19 juillet dernier en réaction aux déclarations du MEDEF quant aux conclusions du Débat National sur la Transition Énergétique.

Après six mois d’un débat dont la qualité et la profondeur ont été saluées par tous – 50 réunions des 8 groupes de travail du Conseil national, plus de 1 000 débats dans les territoires, une consultation citoyenne innovante –, le Comité de pilotage pensait tenir un bon texte de recommandations pour que le gouvernement engage notre pays dans une transition énergétique, ô combien nécessaire. Mais à l’ouverture de la dernière séance de travail, nos espoirs ont été douchés par le Mouvement des entreprises de France (Medef).

Le syndicat patronal a choisi de déclarer irrecevable le texte, alors qu’il avait bataillé jusqu’au dernier moment pour imposer certains amendements. Passons sur l’inélégance de la méthode, qui méprise le jeu collectif auquel les autres acteurs se sont pliés. Regardons plutôt ce que nous dit cette reculade, finalement passagère.

Nous savions que le plus difficile dans ce débat serait de s’affranchir des postures dans lesquelles les acteurs s’enferment. Dans ce théâtre social, les organisations non gouvernementales (ONG) ne doivent rien lâcher, les syndicats s’accrochent aux acquis et les collectivités campent sur leurs compétences et leurs maigres ressources. Le Medef, lui, endosse l’habit de l’acteur responsable, réaliste et soucieux de préserver la compétitivité et la croissance.

L’indécrottable optimiste que je suis se prenait à rêver que le réalisme serait de reconnaître que le changement climatique n’attend pas, pas plus que les 3 264 500 chômeurs recensés en mai, ou que le déficit commercial alourdit, en 2012, de 70 milliards d’euros d’achat de pétrole, de gaz et d’uranium. J’ai vu la plupart des acteurs évoluer. Les ONG ont fini par assouplir certaines de leurs revendications légitimes, notamment celle portant sur la décrue du nucléaire.

RENONCER À DES INNOVATIONS

Les collectivités portées par l’enthousiasme de leurs administrés, qui voient la transition comme une évolution positive, ont dû renoncer à des innovations qui pourtant renforçaient leur efficacité. Les syndicats ont admis la transformation du paysage énergétique et insisté sur l’importance d’accompagner les conversions professionnelles qui en découleront.

J’ai aussi entendu les cadres du Medef affirmer qu’il faudrait respecter les engagements de la France pour le climat. Je les ai vus tiquer quand les experts, y compris ceux qu’ils avaient mandatés, ont expliqué que pour tenir cet objectif il faudrait réduire de 50 % la consommation énergétique d’ici à 2050.

Ils ont toussé quand certaines entreprises – de leur camp – ont affirmé qu’un programme ambitieux de sobriété énergétique et d’efficacité stimulerait l’innovation, dynamiserait la recherche et pourrait faire de notre pays un leader mondial de l’efficacité énergétique.

Au pied du mur, le Medef a craqué, renonçant à soutenir l’engagement collectif pour trouver une sortie par le haut. Car c’est bien une sortie par le haut qui se profilait à l’issue de ce grand débat. Nous savions la transition énergétique nécessaire : changement climatique, vieillissement des centrales nucléaires, facture énergétique, explosion de la précarité énergétique.

Les échanges ont montré que la transition était techniquement possible en combinant des efforts de sobriété et d’efficacité avec le développement des énergies renouvelables.

Nous avons eu la démonstration que la transition était souhaitable. Quel que soit le scénario les investissements nécessaires se remboursent sur la période, dégageant pour les options les plus ambitieuses un bénéfice de 1 000 milliards d’euros d’ici à 2050 (soit presque la moitié du PIB français !). Différentes études ont aussi souligné que la transition pourrait générer un bilan net de 600 000 à 800 000 emplois, résorbant 20 % à 25 % du chômage de 2013.

DES MODES DE VIE PLUS ÉCONOMES

J’ai pensé – naïvement – que la raison l’emporterait et que devant cette démonstration, même les plus conservateurs feraient le pari de l’innovation technique, sociale et politique pour promouvoir des modes de vie plus économes, une mobilité plus maîtrisée que subie, un habitat plus efficace et plus sain, des entreprises plus compétitives, de nouveaux emplois et des collectivités plus performantes sur les enjeux énergétiques territoriaux.

Il aura fallu de longues heures de négociation pour ramener un Medef trop inquiet, ou trop conservateur, vers un accord collectif soulignant quelques désaccords au milieu de nombreuses propositions consensuelles. Et si un texte a été adopté en fin de journée, il est regrettable qu’à la demande de l’institution patronale, nous passions de la force de « recommandations pour le gouvernement » à la fadeur d’une « synthèse collective sur les enjeux ».

Les atermoiements du Medef sont d’autant plus surprenants que les contraintes des grandes entreprises, en particulier celles dont l’activité nécessite l’utilisation d’une grande quantité de gaz ou d’électricité, ont été prises en compte. La transition, c’est aussi et surtout de l’activité en plus pour les artisans, les petites et moyennes entreprises ainsi que les grands groupes.

Ces hésitations semblent traduire l’incapacité de certains patrons, pourtant conscients que notre économie est dans l’impasse, à faire un pas de côté pour engager une mutation profonde de notre politique énergétique. Le naufrage de l’industrie automobile, les difficultés du marketing nucléaire international, ou les errements du secteur bancaire illustrent tristement cet immobilisme mortifère.

Il nous reste à faire le pari d’un sursaut d’ambition du gouvernement pour promouvoir un projet de loi à la hauteur des enjeux. Faisons aussi le pari d’une mobilisation salutaire des entrepreneurs progressistes dont ce pays est riche. Avec eux, prenons le risque – maîtrisé – de la transition, car notre société va mal, trop mal pour accepter l’immobilisme ! Il paraît que le changement, ce devait être maintenant…

Décidons de notre avenir, pour ne pas le subir !

Bruno Rebelle (Membre du comité de pilotage du Débat national sur la transition énergétique (DNTE) et ancien directeur de Greenpeace France)