Elus écologistes clermontois, une vision de la transition
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A l’occasion de la présentation du projet de loi sur la Transition énergétique du gouvernement, le groupe des élus Europe Écologie Les Verts de Clermont-Ferrand republie la contribution qui avait été la sienne lors du débat national sur la transition énergétique tenu en 2012 et 2013.

Des enjeux aux modalités pratiques de sa mise en oeuvre, penser et réaliser la transition nécessite de la cohérence, de l’anticipation, beaucoup d’évaluation et de démocratie.

La crise énergétique à laquelle nous sommes confrontés (crise climatique, hausse des prix, montée de la précarité énergétique) n’est pas qu’une crise environnementale ; elle n’est pas qu’un aspect secondaire de la crise économique que d’aucuns qualifient de systémique : elle est LA crise au coeur de toutes les autres.

Caractérisée par une stagnation, voire à terme, une régression de la quantité d’énergie disponible par habitant, elle impose un développement et une croissance durablement atones de nos économies ; or la volonté de maintenir un certain niveau de vie impose quant à elle de recourir à la dette pour nourrir une croissance anémiée. Ce qui ne manque jamais de déboucher sur un ajustement brutal, une crise marquée par l’effondrement des montagnes de dettes accumulées.

Imposé d’en haut, cet ajustement prend le nom d’austérité.

Contre cette injustice de l’austérité, il nous faut avancer des propositions en direction d’une transition partagée et concertée à tous les niveaux, à commencer par celui de nos territoires, de nos villes et quartiers. En actant la perspective d’une croissance nulle ou atone, cette transition doit nous permettre de nous orienter vers les secteurs les plus intensifs en emplois et en biens communs, qu’il s’agisse de matière grise (révolution numérique) ou de ressources et d’énergies renouvelables (air, eau, énergie, terre).

 

Les trois clefs de la transition : sobriété, efficacité, renouvelables

Sobriété – A rebours de l’illusion d’une énergie infiniment abondante, il nous faut apprendre à penser la sobriété. Il s’agit là d’une authentique révolution copernicienne : ne plus concevoir le système énergétique en partant des ressources (apparemment infinies) mais en partant des besoins et en les hiérarchisant.

Au schéma classique :

Énergie bon marché / apparemment sans limite ► production / croissance ► recherche de nouveaux marchés ► création de besoins

on substitue alors un schéma de sobriété :

Hiérarchisation des besoins ► Quantité d’énergie nécessaire ► Flux d’énergie renouvelable

Or la définition des besoins énergétiques se fait en fonction des caractéristiques géographiques, climatiques, démographiques et économiques d’un territoire donné.

Efficacité – A l’utilisation dispendieuse de ressources naturelles sans aucun souci de leur préservation s’oppose la recherche systématique de l’efficience / efficacité énergétique. L’efficience est la recherche d’un rapport optimal entre le résultat et les ressources employées et donc la limitation des pertes et gaspillages.
En visant l’efficacité énergétique, on vise donc

  • l’affectation de chaque énergie à son utilisation la plus directe, la plus proche et la plus efficace : le transport d’énergie sur de longues distances occasionne toujours des pertes.
  •  la limitation des pertes et des conversions énergétiques (passage d’une énergie à l’autre : du chimique au thermique et à l’électrique pour revenir au thermique, par exemple) : la transformation d’une énergie en une autre forme d’énergie est toujours coûteuse en énergie. [70% de la chaleur nucléaire part dans la nature quand les 30% restants servent à produire de l’électricité : une part importante des pertes du système énergétique français provient du parc nucléaire]

La limitation des distances de transport de l’énergie pose là encore la question de la proximité de la politique énergétique.

Renouvelables – Aux énergies de stock (ressources fossiles), la transition substitue les énergies de flux ; ou énergies renouvelables.

Les énergies de flux sont des énergies

– soit non stockables en tant que telles (l’éolien, le solaire)
– soit stockables mais utilisées sobrement avec le souci du flux de reconstitution du stock : c’est le cas de la
biomasse par exemple, qui nécessite une exploitation pérenne de la forêt. Le gisement très important de biométhane injectable dans le réseau GrDF mérite une réflexion sur un traitement multi-filières (ordures ménagères, déchets des cantines et de la restauration, rejets fermentescibles des grandes et moyennes Surfaces. Déchets d’Activités Économiques, déchets agricoles, …)

La notion de flux est ici capitale : il va moins s’agir de produire une énergie de flux qu’un flux d’énergie, c’est-à-dire une qualité de service énergétique comprenant à la fois la réduction des besoins (la non-énergie ou négaWatt) et la fourniture d’énergie à partir de ressources renouvelables.

Si la production d’énergie centralisée est hors sol, celle d’un flux d’énergie est territoriale : les besoins et les ressources de proximité ne se pensent que dans le cadre d’un territoire donné. Aussi les trois piliers de la transition interrogent-ils l’organisation politique, spatiale et économique du système énergétique.

Il va sans dire que les écologistes aspirent ainsi à une sortie du nucléaire, tout à fait possible, au fur et à mesure que les centrales atteignent leurs trente ans d’âge : pour éviter tout risque de catastrophe majeure ;pour ne pas produire de déchets hautement toxiques pour des milliers d’années, dont on ne sait que faire ;pour éviter les coûts exorbitants induits par la « sécurisation » de nos centrales, leur démantèlement, le »traitement » des déchets, la couverture du risque. Et parce que l’uranium est aussi une énergie fossile, qui nenous procure pas d’indépendance énergétique puisqu’il est importé du Niger, du Kazakhstan et du Canada.

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Penser en termes de flux énergétiques, c’est passer du château d’eau énergétique éloigné des territoires, au réseau énergétique de proximité constitué en fait d’un double réseau, d’information et d’énergie.

Mais quelle est la bonne échelle de proximité ?

Le bassin de vie. Le bassin de vie couvre un territoire géographique, climatique et économique cohérent doté de ressources propres (naturelles et humaines) et ayant des besoins spécifiques. Le bassin de vie correspond aujourd’hui peu ou prou aux agglomérations en milieu urbain ou aux pays en milieu rural.

Enjeux institutionnels

  • Compétences territoriales renforcées. La seule notion de bassin de vie ne suffit pas : elle doit être le support de réformes institutionnelles censées renforcer l’autonomie décisionnelle et fiscale de ces territoires. Le transfert de la compétence urbanisme aux communautés d’agglomération semble impérative : elle permettrait notamment de regrouper les compétences urbanisme, environnement, aménagement, équipement et mobilité dans un bloc « climat-énergie ».
  • Autonomie décisionnelle accrue. La prise de décisions stratégiques sur un bassin de vie implique un niveau d’information optimal sur ce même espace. Chaque territoire doit pouvoir se doter d’outils lui permettant de se « connaître » sous l’angle des besoins (sobriété), des ressources (renouvelables) et de son utilisation des ressources (efficacité). Et ce via divers diagnostics : des politiques publiques, du territoire (état de ce que l’on appelle le « métabolisme » territorial : flux entrants, sortants, ressources, besoins). Pour cela, chaque bassin doit se doter de compétences fortes en matière d’ingénierie numérique, énergétique et financière.
  • Maîtrise des réseaux. La production de flux d’énergie (énergie + information) à l’échelle d’un territoire induit la maîtrise des réseaux de distribution locale, via la création d’entreprises locales de distribution (ELD). Et ce, afin de rapprocher les citoyens / consommateurs de leurs sources d’énergie.

 

Enjeux financiers

La « révolution » territoriale et administrative portée par la notion de bassin de vie impose l’émergence d’outils fiscaux et financiers à la hauteur des enjeux. Elle devrait s’appuyer sur une réforme de la fiscalité locale ainsi que sur des outils neufs.

  • Refonte de la fiscalité locale – Une telle réforme doit permettre aux collectivités locales de :

– prélever une part plus importante de la plus-value (notamment foncière et immobilière) : limitation des durées de rétention foncière, révision de l’assiette immobilière (révision des valeurs locatives ou passage à la valeur vénale des biens)

sans oublier la dépénalisation et la relocalisation des recettes liées au stationnement

ni l’affectation de la TFCE (Taxe sur la Consommation Finale d’électricité – 1,5 milliards – aux politiques « climat-énergie »)

– offrir des outils précis de pilotage urbanistique via le conditionnement ou la modulation des aides au logement (Prêt à Taux Zéro ou dispositifs d’investissement locatif) aux zones d’implantation décidées dans le cadre des schémas de planification : SCOT, SRADDT…

  • Structures et financements innovants – Penser en termes de flux d’énergie conduit à imaginer l’émergence d’une nouvelle politique énergétique, via notamment, un service public de l’efficacité énergétique assuré par des sociétés (publiques ou semi-publiques) de service d’efficacité énergétique. L’objectif serait alors de compenser l’insuffisance de l’investissement privé dans la domaine de la rénovation thermique via des procédures de tiers-investissement : le tiers-investisseur apporte l’investissement initial nécessaire au lancement des travaux, avant de se se rembourser sur les économies d’énergie réalisées.

Mais la viabilité de ces structures et de leurs capacités d’investissement passe par l’accès à des ressources financières adaptées au profil de ces investissements : levée d’obligations vertes régionales, création d’un fonds national de refinancement pour la rénovation énergétique, fléchage d’une partie des fonds structurels européens (2014-2020 ; sans doute appelés à être gérés par les régions)…

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De l’abondance à la rareté, du gaspillage à la sobriété, des stocks aux flux, du global au local… La transition énergétique induit un renversement complet des modes de vie et de pensée. D’un point de vue social et politique, elle entraîne une révolution majeure, notamment en France : la prise de décision ne viendra plus d’en haut, mais d’en bas, des territoires et bassins de vie, redonnant ainsi ses lettres de noblesse à l’action politique locale. Cependant face aux risques de technocratie territoriale, il semble impératif d’inventer les modalités démocratiques et participatives de cette transition.