Economie : virage social-libéral ou environnemental ? (1)
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Retrait hâtif de l’écotaxe, largage inopiné du CICE, prétendu tournant « social-libéral » du Président Hollande… toutes les mesures ou non-mesures, les décisions et horizons des décideurs politiques de ce pays se résument à bien peu de choses : réduire les charges pesant sur l’activité pour en libérer le potentiel de croissance.

Peut-on dès lors parler de tournant historique ou de mesure « révolutionnaire » ?

En 1993, Valéry Giscard d’Estaing faisait la tournée des plateaux TV en vantant son programme de « fiscalisation des charges sociales », entendez allègement des charges patronales transférées sur la CSG ou la TVA. Vingt ans plus tard, son fils Louis se répand à longueur de débats budgétaires sur l’étranglement d’une économie française aux prises avec « l’atavisme dispendieux » de la gauche tricolore.

Plus qu’une histoire d’obsession, une histoire de famille. Dans les années 1980, Yvon Gattaz, alors président du CNPF, proposait un choc de réduction des charges contre la création de 450 000 emplois. En 1986, J. Chirac en appliqua bien l’ordonnance… sans le moindre effet probant… Trente ans plus tard, le fils de M. Gattaz, alors président du MEDEF (ex-CNPF), propose un choc de compétitivité de 100 milliards d’euros contre la création d’1 million d’emplois…

Myopie de l’économie classique

Les bons docteurs Diafoirus de l’économie nationale et mondiale ont beau nous rebattre les oreilles de leurs recettes de grand-mère, le décalage entre leur vision de l’économie et les mutations profondes qu’elle vit aujourd’hui ne cesse de se creuser.

Dans le discours ambiant (et dominant), parler économie c’est parler, comme on le faisait au XIXè siècle, de travail, de capital, de coûts, de compétitivité(-prix). Parler économie, c’est se limiter à ces notions comptables, aux différents éléments et rapports d’un tableau de compte ; bref à une économie hors-sol, en quête de ratios financiers et dans le déni complet de ce qui la rend tout simplement possible ;

dans l’oubli complet des conditions de reproduction du facteur travail : les salaires, bien évidemment, mais aussi les conditions sanitaires, l’éducation, le logement, l’alimentation, le bien-être… bref, de tout ce qui constitue l’environnement vital des travailleurs.

dans l’oubli complet des conditions de reproduction du facteur capital : les capitaux financiers, certes, les immobilisations. Mais aussi les ressources nécessaires à la production : énergies, matières, et les sources de ces ressources : biodiversité, eau, sol, air ainsi que les principes de régulation de ces mêmes sources (climat, écosystèmes)… bref de tout ce qui constitue l’environnement vital des entreprises.

L’activité économique, notamment industrielle, passe par l’extraction, la transformation, la distribution et la consommation de matière, autant d’opérations correspondant à des dépenses énergétiques. Un système économique viable et durable ne peut pas refuser de considérer la disponibilité des ressources qui lui sont vitales, et donc leurs conditions de reproduction. Ainsi en va-t-il des stocks de matière première, de la qualité des sols comme et surtout de l’état de la biodiversité et du végétal : hormis le nucléaire, le solaire et la géothermie, toutes les énergies ont à voir avec le vivant : des énergies fossiles à l’éolien (dimension climatique) en passant par la biomasse. Notre économie dépend donc des capacités du vivant à se reproduire et à reproduire ses ressources de période en période.

Au-delà de la durabilité de notre économie, il y a bien évidemment tous les services écosystémiques invisibles rendus par la nature à notre économie. L’exemple le plus célèbre étant celui de la pollinisation assurée par les abeilles, service assuré gratuitement dont le coût n’est mesurable que par la perte. [Voir notre série sur les insectes pollinisateurs]

Aussi cela paraît-il hallucinant de continuer à parler aujourd’hui d’économie en termes d’arbitrages entre le travail et le capital. Soit en penchant du côté du capital (libéralisme ou social-libéralisme) soit du côté du travail (socialisme ou social-démocratie). Puisque c’est faire fi de toute la dimension environnementale du développement, ignorer le poids croissant de son empreinte écologique, des dégâts, des crises et finalement des coûts qu’elle inflige à ce même développement. Coûts qui -loi du marché oblige – sont socialisés et payés par tous, et surtout les plus fragiles d’entre nous, quand les profits à court terme sont privatisés.

Quand on mesure

– que la crise de 2008 est la première crise depuis celle de 1848 a d’abord être une crise écologique, c’est-à-dire une crise des ressources (alimentaires et énergétiques)

– que l’atonie des croissances occidentales (voire la déflation chronique de l’économie japonaise) coïncide avec la stagnation de la quantité d’énergie disponible par habitant sur la Terre (début des années 1980)

– que la crise actuelle n’est donc pas qu’économique ou budgétaire mais bien, d’ores et déjà environnementale,

comment prétendre se fendre de solutions d’avenir sans y intégrer la troisième dimension émergente, celle du facteur naturel ou vivant ?

[A suivre…]