Des APL à la politique du logement, petite musique macroniste
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La majorité présidentielle a inauguré sa politique du logement par une série d’annonces et de mesures éparses – baisse des APL, réduction des crédits au logement social, réforme de la loi SRU, simplification des normes… – mais qui ressortent toutes d’une vision libérale et idéologique de la question :

– réserver le logement social aux plus précaires et donc limiter la taille et le coût du parc social ;

– s’en remettre aux lois du marché pour résoudre la crise du logement et procéder à un choc de l’offre.

Partons de la mesure-phare de l’été, la réduction des APL (Aide Personnalisée au Logement).

L’APL est-elle une aide au logement ?

Non, l’APL est une aide à la personne ayant besoin de se loger. Elle ressort de la solidarité nationale et concerne 6,5 millions de bénéficiaires dont environ 3 millions dans le parc social.

Cela représente :

  • 2,8 millions d’allocataires APL, dont 800 000 étudiants (montant moyen : 250 euros). un étudiant sur quatre vit sous le seuil de pauvreté et le logement représente plus de la moitié de son budget mensuel.

  • 1,3 million de familles ayant droit à l’allocation locative familiale (ALF) (montant moyen : 321 euros).

  • 2,4 millions de ménages locataires percevant l’allocation de logement à caractère social (ALS) (montant moyen : 195 euros).

«  L’aide au logement » est-elle un système coûteux?

Cela représente une aide publique d’un montant total de 17,6 milliards d’euros en 2016, soit :

  • 8,5 milliards d’euros d’allocations au parc privé,

  • 8,2 milliards au parc HLM,

  • 0,9  milliard aux accédants modestes à la propriété.

L’APL pousse-t-elle les loyers à la hausse ?

L’argument le plus couramment employé par le gouvernement cet été était celui du pouvoir inflationniste des APL.

Or, les loyers du parc social sont encadrés et plafonnés : l’APL n’a aucune incidence sur la hausse, plutôt sur la solvabilité des ménages donc leur accès au logement ; et à la qualité des logements (rénovations).

Quant à ceux du parc privé, l’effet inflationniste des APL n’a jamais été ni flagrant ni démontrable, même si certains loyers sont calculés en fonction de l’APL potentielle. A contrario, il est très douteux qu’une réduction des APL incite les propriétaires à baisser leurs loyers : le président de la République en a conscience si l’on s’en réfère à sa piteuse invite aux propriétaires de réduire leur loyer de 5 euros au nom «  de la solidarité nationale ».

Piteuse encore, quand on refuse par principe (et sans doute par idéologie) le dispositif prévu par la loi ALUR (Duflot), si décrié et mis en œuvre à Paris et Lille uniquement : l’encadrement (ciblé) des loyers privés, notamment de petite taille et à destination des étudiants ou saisonniers.

Si les APL ne sont pas inflationnistes, elles constituent néanmoins une mesure nécessaire et à haute efficacité sociale : 60 % de ses allocataires vivent sous le seuil de pauvreté, 80 % gagnent moins que le Smic et ces aides représentent 21 % des revenus des 10 % des ménages les plus modestes. La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) rappelle d’ailleurs que les allocations logement contribuent « fortement » à la réduction du taux de pauvreté (-2,1 points).

Par ailleurs, les APL sont également profitables au secteur du bâtiment : chaque euro investi par la sphère publique dans le logement social génère entre 5 et 8 € d’activités économiques locales. Y compris les APL, puisqu’elles permettent aux locataires de payer une partie du coût de leur logement : or, les principales ressources du financement du logement social sont les loyers payés par les occupants !

L’utilité d’une telle réduction ?

La seule efficacité d’une telle mesure serait d’ordre budgétaire : 5 euros de baisse pour tous les bénéficiaires, soit 6,5 milllions de personnes, permettraient 400 millions d’€ d’économies, sur un budget annuel de 17,5 milliards d’€ (en 2016). Mais si l’économie est réelle, elle n’en est pas moins globalement insignifiante (2,2%). Insignifiante et injuste.

Une mesure dangereuse et lourde de conséquences

Dangereuse parce qu’on risque d’asphyxier le système pour mieux dénoncer son inadéquation.… Explications.

Le budget baisse en 2017 mais le nombre de bénéficiaires des aides s’accroît chaque année, sous la double contrainte de la hausse tendancielle des loyers privés et de la baisse tendancielle des ressources des locataires. En parallèle, le nombre de demandeurs de logements sociaux augmente et l’offre ne peut pas suivre.

Ces décisions créent donc un effet ciseau, dont on se demande s’il n’est pas la première pierre d’une nouvelle politique du logement : une tendance forte à la spécialisation du logement social existant (le stock) pour les « publics » les plus défavorisés.

Les loyers du parc social ne baisseront pas dans les logements existants puisqu’ils sont la seule ressource des organismes de logement social. Mais la capacité contributive des locataires diminue, leur taux d’effort augmente, affectant l’équilibre de leur budget et ouvrant la voie à une paupérisation accrue.

Dans le même temps, le gouvernement annonce qu’il entend mettre un terme à la pratique des surloyers censés être appliqués au public vivant en logement social mais dont les revenus dépassent les plafonds recevables pour occuper un logement social : cette disposition, dérogatoire au droit commun et donc très régulée, avait pour objectif de favoriser la mixité sociale et de générer des ressources supplémentaires (sans APL !) pour les bailleurs sociaux

Au prétexte de répondre à l’insuffisance de l’offre sociale, ce gouvernement chercherait à sortir du parc social ces foyers ayant des revenus supérieurs au seuil maximum.

Le risque est ici triple :

– on glisserait – et c’est un objectif avoué de cette majorité – vers une spécialisation du parc social vers des publics de plus en plus précaires et dépendant des APL ;

– vers une diminution conséquente des ressources des organismes de Logement social avec un impact conséquent sur les capacités de constructions de logements sociaux neufs.

– Enfin, cela aurait une conséquence non négligeable quant à la qualité des constructions futures : si l’on veut continuer à produire du logement social avec moins de ressources (affectées par l’État et issues des loyers), il va falloir en produire du moins cher, c’est-à-dire rogner les normes de qualité architecturales et environnementales : sécurité, volumes minimum habitables (9m² pour une chambre, pas moins!), performances énergétiques (et donc charges locatives, accessibilité personnes à mobilité réduite. Là encore, vieille rengaine libérale qui n’envisage sa politique de « choc de l’offre » qu’en termes de dérégulation !

***

On le voit une mesure aussi ponctuelle, injuste et insignifiantes que la réduction de 5 euros des APL est lourde d’une vision de la politique du logement fondée à la fois

  • sur la notion de logement marchandise, dont les quantités – et les qualités – sont pilotables par le marché ;

  • et sur celle d’une politique de l’offre et donc de la production de logements à promouvoir via des incitations à l’investissement et des aides à l’amortissement telles que la lutte contre la ‘prolifération des normes’ : politique libérale classique qui postule qu’un accroissement de l’offre induit automatiquement une baisse des prix et donc des loyers.