Clermont : le miracle IKEA ? (3)
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L’été clermontois a été marqué par l’arrivée d’IKEA dans le bassin clermontois. Alors que la poussière et les paillettes retombent, il est temps de tenter de discerner l’envers de cette arrivée si triomphale, du tapis rouge à tous les honneurs auxquels peut prétendre un investisseur privé, brandissant très haut l’importance des retombées économiques de son implantation.

Partie 1

Partie 2

– Partie 4

Des meubles Moreux à Varennes-sur-Allier (03) à l’ouverture d’IKEA à Clermont, quelle a été l’évolution de l’activité du meuble dans la région depuis plus de 20 ans ?

En France, la filière meuble emploie près de 130 000 salariés en 2014.

Dont 61 600 côté distribution et 62 936, côté fabrication. Cette dernière s’effectue dans 12 052 entreprises, dont 470 de plus de 20 salariés (4% – 2,5% au-delà de 50 salariés). Le secteur du meuble en France est donc essentiellement un monde de TPE et non plus de manufactures.

De Moreux à IKEA, nous sommes passés d’une économie de production à une économie de distribution ; ou du moins à une filière, l’ameublement dans laquelle la distribution a pris une ampleur inédite.

D’une économie de production à une économie de distribution

L’exemple du secteur en Auvergne est éloquent : en une trentaine d’années, nous sommes passés d’un système productif plus ou moins concentré mais réparti sur le territoire, à un système distributif hyper concentré (et dont la concentration va s’accentuer : l’arrivée d’IKEA à Clermont scellant la phase métropolitaine de cette concentration).

Et cela, du fait de la globalisation, de la conteneurisation, de l’émergence de nouveaux acteurs plus compétitifs dans les secteurs manufacturiers, de la saturation des marchés consacrés à l’équipement des ménages… Cette saturation des économies développées et de leurs marchés en biens de consommation conduit à un plafonnement de la demande et des volumes consommés tant et si bien qu’il faut aujourd’hui ‘produire de la demande’ pour alimenter la croissance (du marché national) avec laquelle le secteur aimerait renouer.

Que s’est-il passé ?

Nous pourrions parler de mondialisation, de financiarisation de l’économie, de coût du travail etc… bref de tout ce dont parle la science économique, à savoir le capital et le travail. Nous évoquerons le capital naturel dont le poids se ressent à la fois dans le capital et dans le travail.

Sur la période qui nous intéresse, le coût de l’énergie (capital naturel par définition) n’a cessé de croître [à très gros traits, le baril de pétrole est tout simplement passé de 1 dollar à 100] : la réalisation d’économies d’échelle devient de plus en plus nécessaire ; elles permettent, via le changement d’échelle de production, de consommer moins d’énergie par unité produite. Mais elles impliquent une course à la concentration d’énergie sans cesse plus importante et rapide (surtout en vertu de la règle de la baisse tendancielle des économies d’échelle ; et donc du profit). Cela signifie donc la fin des petites unités de production territoriales. Et la course aux concentrations, voire aux délocalisations (vers des pays à moindre coût énergétique, du fait notamment d’une main d’oeuvre sous payée, à moindre consommation énergétique, tant du point de vue de l’alimentation que des modes de vie).

Dans ce contexte, l’activité économique se rabat également vers des secteurs à moindre intensité énergétique : ceux de la distribution. La réalisation du profit – et de sa croissance – se fonde sur l’exploitation d’autres facteurs de production, les facteurs productifs du processus de consommation : les produits et surtout les clients – consommateurs. Tels sont les intrants de l’industrie de distribution dont l’objectif est de produire du bénéfice.

Cela permet à l’industrie du meuble et notamment à son fleuron, IKEA :

  • d’externaliser nombre de coûts énergétiques liés à la production (en les reportant sur les fournisseurs et les clients – voir infra)
  • de recourir à une énergie très bon marché  : elle troque une main d’oeuvre énergétiquement vorace contre une masse de consommateurs dont elle n’a pas à supporter / indemniser la dépense énergétique. L’entreprise ne paie qu’un prix minime pour l’emploi de sa force consommatrice ; elle en paie seulement une partie de son « extraction », via son dispositif de publicité / marketing que l’inertie de la marque et l’enthousiasme des élus locaux allègent considérablement.

Comme toute énergie, seule la croissance de la quantité disponible est à même de générer des gains via des économies d’échelle : aussi faut-il prendre possession des cœurs de zones de chalandise pour un accès immédiat à une grande quantité d’énergie et ce, afin de se donner les meilleurs moyens de l’attirer et de la canaliser ; si tant est que les élus locaux aient fait œuvre de désenclavement en dotant leur territoire d’autoroutes, de bretelles, de zones et de parkings. A ce compte-là, on note que le coût énergétique de l’activité est très réduit pour l’investisseur privé qui n’en paie ni l’acheminement, ni la production (laissant cela aux particuliers et aux collectivités) : la stratégie retenue est celle d’un transfert massif de coûts dont les conséquences sont lourdes pour les territoires.

Cette dynamique d’hyper concentration est liée à une mutation de l’économie qui accentue les tendances à la concentration des richesses et des ressources, qui d’elle-même aggrave encore le phénomène de concentration. Elle initie donc un cercle vicieux dans les territoires périphériques qui voient se substituer à vitesse grand V une économie de distribution à une économie de production : tel est le sens du glissement de l’entreprise Moreux à IKEA.

Par ailleurs, en produisant plus de besoins (distribution) que de produits (production), on crée toute une série de possibles déséquilibres :

  1. budgétaire : il faut compenser la perte de salaires créée par la substitution d’une force de consommation à une force de travail. A charge pour la solidarité nationale, les dépenses sociales et les dotations d’État, de combler ce manque à gagner.
  2. financier : lorsque les compensations de solidarité ne suffisent plus, le territoire peut toujours recourir à l’endettement afin de combler la différence entre ce qu’il produit et ce qu’il consomme.
  3. démographique : dernier ajustement possible entre offre et demande, la possibilité de réduire la demande en réduisant la population via une réduction démographique rendant les territoires périphériques encore plus périphériques.

Redistribution, endettement et exode démographique constituent autant de mécanismes qui, à la fois, détruisent le tissu économique de ces territoires et renforcent les logique de métropolisation.

Derrière le Carré Jaude II qui se veut une pépinière des enseignes les plus modernes et les plus métropolitaines, IKEA vient en fait confirmer la logique de grandeur économique et d’accumulation (hommes, capitaux, pouvoir) que sous-tend la logique métropolitaine. Mais il s’agit plus d’un symptôme que d’un remède.

[A suivre…]