Cécile Duflot : laisser du temps à l’ALUR
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Alors que sévit la crise de la construction, les professionnels de l’immobilier s’acharnent sur la loi ALUR (Accès au Logement et Urbanisme Rénové), pensant trouver une oreille favorable au sein du nouveau gouvernement. Réponse de Cécile Duflot, Députée (EELV) de la sixième circonscription de Paris et ex-ministre du Logement et de l’Égalité des territoires (mai 2012 – mars 2014).

On accuse votre loi sur le logement, Alur, de la panne de la construction…

Aujourd’hui, nous vivons une crise de l’investissement immobilier. La demande privée baisse face à des prix trop élevés par crainte de l’avenir, la commande publique locale se réduit à cause de la diminution des dotations de l’Etat et le logement social connaît un gel de ses projets. La France souffre d’avoir les prix de l’immobilier les plus élevés d’Europe, cela effraie les investisseurs et pénalise notre économie.

Considérer que la crise de la construction neuve est liée à la loi Alur, relève au mieux du simplisme, au pire, de la manipulation. La crise a commencé en 2008 et ses effets sur l’immobilier se font toujours ressentir. On ne peut pas faire de court-termisme sur la politique du logement : une politique produit ses effets au plus tôt deux ans après. Alur est une loi structurelle qui s’attaque à des problèmes de fond et à des abus multiples, comme la lutte contre les marchands de sommeil ou la prévention des copropriétés dégradées. C’est une loi dont les effets bénéfiques vont être visibles au fur et à mesure des années et qui peut profondément améliorer le secteur et éviter ses effets pervers. Je veux revendiquer cette nécessité de mettre du long terme dans la politique.

Les prix sont au cœur de la panne ?

Les prix de l’immobilier élevés ne concernent pas que Paris, c’est une réalité dans de nombreux territoires. L’étude réalisée par le cabinet Deloitte pour la commission européenne estime les prix français à 40% au-dessus de la moyenne européenne. Au moment où tout le monde a le mot compétitivité à la bouche, un des éléments qui pèse le plus sur la compétitivité française, des entreprises comme des ménages, c’est le prix de l’immobilier. Le prix de l’immobilier français est insoutenable, c’est à cela qu’il faut apporter une réponse adéquate. Les ministres du logement, y compris moi, n’osent pas assez dire cette réalité.

Les aides, qu’il s’agisse du prêt à taux zéro appliqué à l’immobilier ancien ou de la défiscalisation du locatif neuf, sont inflationnistes. On a sur-subventionné le secteur du logement pendant des années. Je pensais dangereux de sevrer brutalement un secteur drogué par 4 milliards d’euros par an d’aides fiscales au locatif. C’est pour cela que j’ai créé un nouveau régime fiscal. Mais dans l’idéal, il faudrait débrancher la perfusion. La loi Alur, si elle est bien appliquée, permettra aussi d’en finir avec les effets de rente qui maintiennent ces prix élevés.

Mais on va vers plus d’aides : les professionnels demandent un régime fiscal du locatif plus attractif, permettant par exemple de loger ses descendants et le prêt à taux zéro est accru en zones non urbaines…

Je constate que ces aides n’ont jamais permis de stabiliser le secteur, ni de répondre à la crise du logement. Elles amènent des chiffres artificiels de la construction : on construit là où il n’y a pas de demande et on concentre la rente immobilière sur des familles qui disposent déjà de patrimoine. Certaines aides en zones non urbaines peuvent être utiles : lorsqu’il s’agit de revitaliser un centre bourg et d’éviter l’étalement urbain. Mais l’enjeu essentiel est que le secteur immobilier parvienne à ne plus être dépendant d’un soutien artificiel. Cela fragilise le secteur de la construction et maintient des prix de l’immobilier trop élevés pour le pouvoir d’achat des Français.

Quid de la décision de Matignon de retoucher Alur en recentrant la garantie universelle des loyers (GUL) sur les jeunes ?

Quand la garantie se limite aux publics les plus fragiles, elle est très coûteuse et quasiment impossible à mettre en œuvre. C’est le cas de l’actuelle « garantie des risques locatifs » (GRL), qui ne fonctionne pas. Jean-Louis Borloo avait dit que si la GRL échouait, il faudrait passer à un système universel. La GUL doit rester universelle. L’enjeu c’est d’avoir un dispositif suffisamment efficace pour remplacer la caution, qui ne sécurise pas le propriétaire et empêche l’accès au logement, notamment des jeunes. Telle qu’imaginée par Matignon, la garantie jeunes sera un échec. Elle ne trouvera pas son public et coûtera plus cher à l’Etat.

Et l’éventuelle retouche d’Alur sur l’encadrement des loyers ?

Les loyers ont augmenté de 40 % en 10 ans lors des relocations, tandis que les revenus ont stagné. Il faut donc revenir à un équilibre sur le marché locatif, pour éviter à la fois les effets d’une bulle immobilière et d’une économie de la rente. Cela fonctionne très bien en Allemagne, où Angela Merkel vient de durcir l’encadrement des loyers, sans empêcher une économie dynamique. En France, les loyers ont étés plus souvent encadrés que libres, y compris pendant les périodes où nous avons le plus construits. Sur longue période, on n’a jamais observé de corrélation entre la rentabilité locative et les périodes d’encadrement, car le prix de l’immobilier s’ajuste. Depuis les années 1980, il y a eu une liberté totale des loyers et cela n’a pas empêché une crise majeure de la construction. Et si, comme le disent les professionnels, les loyers augmentent peu aujourd’hui, alors l’encadrement ne posera aucun problème.

Que pensez-vous de l’augmentation de la ponction de l’État sur les fonds du 1 % ?

L’argent du 1 % logement doit être consacré au logement. Parce que c’est sa fonction. Il faut s’appuyer sur les partenaires sociaux et non pas les contraindre. Le projet de loi de Finances racle les fonds de tiroir pour utiliser cet argent à faire des allégements de charges sans aucune contrepartie.

Quelle mesure de relance du logement souhaiteriez-vous ?

Il faudrait davantage aider les maires actifs en matière de construction. Pour cela, la priorité est de réformer la manière dont l’Etat alloue aux collectivités locales la dotation globale de fonctionnement.

– Source : les Echos.fr