Carré Jaude II : la fin d’une époque
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Le Carré Jaude II ouvre ses portes en grande pompe. Quand notre ville a besoin d’une bouffée d’air frais et d’une bonne dose d’énergie, on ne lui propose que bétonnage et projets pharaoniques. Symbole d’un temps révolu, ce projet prend l’exact contre-pied d’un projet écologiste pour le Clermont de ce siècle.

Cette conception et cette pratique de la ville sont révolues, qui associent le prestige et la ‘grandeur’ d’un mandat à la hauteur des bâtiments érigés. Place à la ville du XXI siècle, vivante, souple et mobile.

La cuvette clermontoise est garrottée par les quatre voies d’une autoroute qui en comptera bientôt six, par des barres de béton, des boulevards et des pénétrantes congestionnées. Clermont-Ferrand est la descendante d’une ville industrielle concentrant béton, énergie et pouvoir ; se rêvant en métropole et affichant fièrement des symboles d’un autre âge, ainsi cette absurde érection du Carré Jaude II en plein cœur urbain.

A la fin des années 1970, les projets du Centre et du Carré Jaude n’en constituaient qu’un seul, découpé en deux phases par le maire de l’époque, Roger Quilliot. Avec cette inauguration, Serge Godard assume son rôle de digne successeur.

Comment le Clermont de 2013 peut-il accueillir un projet daté des années 70 ?

La crise écologique remet en cause les fondements même de la ville industrielle qui en fut le creuset. Au débordement de béton et au gaspillage énergétique que constitue le Carré Jaude II, devraient aujourd’hui répondre sobriété, efficacité et ressources renouvelables, bref les principes d’une économie, d’une ville et d’un urbanisme de ce siècle.

 

Naissance d’un monstre

Pourtant comme l’on dit souvent, lorsque « le vieux monde se meurt, et que le nouveau tarde à émerger, dans le clair-obscur surgissent les monstres. » Nous y voilà.

Alors que lentement le basculement s’opère, d’un système urbain et industriel gavé d’énergie bon marché vers un monde plus sobre et ancré dans les territoires, le système clermontois réussit, presque malgré lui, à accoucher d’une triple monstruosité :

Démesure urbanistique, tout d’abord : il faut certes densifier la ville, mais non l’emmurer. La densifier et lui donner à respirer. Aérer le centre, dynamiser les quartiers résidentiels, anciennement industriels, soigner les franges et les paysages, relier la ville à ses coeurs de nature – les Côtes, les Volcans, le Val d’Allier – et la réconcilier, elle qui est née de l’exode rural, avec l’agriculture et la terre. Si l’urgence est aujourd’hui de tisser les liens de l’urbain avec la nature, les horizons et l’ensemble des éléments vitaux (eau, air, énergie, terre, biodiversité), alors le Carré Jaude II a tout faux.

Démesure économique, ensuite : en participant au « grand déménagement du monde », ce nec plus ultra de l’économie moderne, le Carré Jaude II

  • aggrave le bilan carbone de nos activités économiques
  • menace les petites enseignes de centre-ville, celles qui font la richesse et le dynamisme d’un coeur urbain; et dont l’affaiblissement dévitalise aujourd’hui le versant est de la butte clermontoise.
  • étend démesurément les espaces de vente d’une production largement délocalisée, dont les conséquences sociales et environnementales sont un scandale majeur.

Si l’urgence est à la relocalisation de l’économie, alors le Carré Jaude II a tout faux.

Démesure politique, enfin : assumé aujourd’hui à demi-mot, le Carré Jaude II suscite de multiples critiques. Ne serait-ce que pour son aspect massif, sa hauteur et la perspective écrasante qu’il impose alentour. Mais pourquoi en est-on arrivé là ? Y avait-il nécessité de se doter d’un ensemble dont la laideur est largement attestée ?

Il est manifestement à Clermont-Ferrand des mécanismes de gouvernance par lesquels on aboutit à l’érection d’une chose dont on ne voulait pas. Notre ville souffre d’un système municipal usé, sclérosé et trop sûr de lui. Si l’urgence est aujourd’hui d’impliquer plus activement les Clermontois dans les choix politiques de leur ville, alors le Carré Jaude II a tout faux.

 

Une autre vision de la ville ?

Le Carré Jaude II est l’exacte antithèse du projet global qu’attend notre ville. Un projet de ville :

  • qui s’ancrera dans un territoire dont elle mobilisera durablement les ressources et dynamisera l’économie [Énergie – Économie – Investissement]
  • qui redonnera de la valeur et de la qualité au temps libre, choisi, partagé en le débarrassant de tous les temps morts de la mobilité automobile et contrainte liée au travail ou à la consommation. La qualité des mobilités, la réduction des distances ou des vitesses permettront un regain de temps à investir dans le vivre-ensemble, le savoir et la solidarité. [Mobilité – Aménagement – Solidarités]
  • qui débattra et partagera mieux la décision entre tous ses habitants : si la ville doit se reconstruire sur la ville, elle ne peut le faire sans l’avis des premiers concernés. La transition écologique est aussi une transition démocratique.[Démocratie de proximité]

 

Avec l’inauguration du Carré Jaude II, l’année 2013 marque la fin d’une époque à Clermont-Ferrand. Une chose est sûre : 2014 doit en ouvrir une autre. Sous peine de voir les monstres se multiplier.